Devant toutes les baraques, Seurat notait des mouvements, des attitudes, des décors parfois. Il cherchait et il trouvait le « caractère » à donner à un simple entre sort en toile, à bancs de bois, éclairé par des quinquets. De la belle Fathma, il passait à l'homme-caoutchouc; il s'attardait dans ces petits théâtres où l'on représentait La Passion, La Tentation de Saint-Antoine ou Geneviève de Brabant. Aucune odeur de ménagerie, de fritures, de vinasse ne le rebutait. Il était, certainement, comme Constantin Guys, « L'Homme des foules ». Partout, il trouvait à apprendre aussi bien chez les montreurs d'animaux : serpents, oiseaux, chats, chèvres, phoques, singes ou perroquets,—que chez les dompteurs fouaillant des lions et des tigres.
Quand Seurat reviendra à Paris, il n'aura rien perdu de son esprit réfléchi et clairvoyant. Il n'aura point cessé de songer fortement au dessin et à la peinture.
Il a mis mentalement de l'ordre dans toutes les gravures qu'il a vues, dans tous les textes qu'il a lus. Une classification très nette des objets s'est faite impérieusement en lui. Il a senti qu'il devait à jamais répudier le mouvement; qu'il devait à jamais bannir toute turbulence, et toute passion. Il faut qu'il développe son tempérament qui est tout entier de mesure
et de pondération.
Il sait qu'il a, lui aussi, une « longue aptitude à la patience ! »
Enfin, de feu Dubois-Pillet—(capitaine de la garde républicaine et peintre. Un féconde pointilliste», car il fut peintre partout et en tous les
genres) :
« Seurat! c'est lui qui m'a entraîné. Je lui dois tout!
« Son sens de l'ordre, de la discipline, je devrais- dire, fit sur moi tout de suite une profonde impression. Naturellement, il y avait du danger à rester complètement dans son sillage; c'est pourquoi je me suis efforcé de peindre d'autres sujets que les siens. Ce faisant, j'ai, peut-être, souvent, égaré ma pensée; mais je ne regrette rien. Par Seurat — et grâce à Seurat— j'ai adoré la peinture! »
Oui, c'est à peine, en effet, si je vous ai esquissé sa physionomie. Sa personne était sien retrait. Elle n'offre vraiment que le relief artistique. Ce n'est pas que l'homme ne fût particulier. Si, mais comme sa réserve était extrême, il s'ensuit pour nous une vraie carence aussi bien d'impressions que d'anecdotes. Il était grave sans jamais un abandon vers la fantaisie. Son plaisir apparent était de parler des conditions de la peinture— de sa méthode surtout. Sur ce dernier point il se complaisait manifestement.
Chez Seurat, l'instinct, le don, dominait tout son être. Il était prodigieusement doué pour, jeune, avoir fait ce qu'il a fait; il eût vécu qu'il eût connu la grande maîtrise. Je lui dois beaucoup; nos discussions étaient sans fins; nos séjours à la campagne prolongés.