Il était avec elle, dans sa chambre. Je distinguais presque les contours de son visage, indéfini, une simple tâche lumineuse, fugitive. Après cet instant de terreur, de paralysie, lorsqu'elle s'était réveillée au contact froid d'une lame appuyée sur sa gorge, ou au son d'une voix inconnue, elle avait d'abord tenté de parler, de lui faire entendre raison. Sans doute avait-elle essayé de le dissuader, encore et encore, tandis qu'il coupait les fils des lampes pour la ligoter. Elle était diplômée d'Harvard, chirurgienne. Elle avait dû recourir à la raison contre une force qui n'en connaissait aucune.
Les morts ne m'ont jamais inquétée. Ce sont les vivants qui m'effraient.
- [...] une petite enquête a été menée sur son passé. Je sais d'où il vient, quelle a été son enfance. Il y a des choses dont on ne se remet jamais. Elles vous marquent à vie. Ca arrive.
Il ne m'apprenait rien que je n'aie déjà deviné. Marino venait de la pauvreté, il avait grandi du mauvais côté de la barrière. [...]
J'avais déjà entendu ces larmoyantes histoires de flics un bon millier de fois. Le seul avantage que le type a dans la vie, c'est qu'il est costaud et blanc. La meilleures façon pour lui de devenir encore plus costaud et encore plus blanc, c'est une arme et une plaque de flic.
- Il est hors de question que nous nous cherchions des excuses, Benton, rétorquais-je sèchement. Nous n'avons pas à excuser les criminels parce qu'ils ont vécu des enfances bousillées. De surcroît, il est inacceptable que nous usions des pouvoirs que nous avons obtenus pour punir des gens sous prétexte qu'ils nous rappellent les susdites enfances bousillées.
Il ne s'agissait pas d'un défaut de compassion de ma part. Je savais exactement d'où venait Marino. Sa colère ne m'était pas étrangère. Je l'avais éprouvée bien des fois devant un accusé au tribunal. Les preuves ont beau être accablantes, si le type est beau, soigné et vêtu d'un costume à deux cents dollars, douze petites gens, hommes ou femmes, refuseront au fond d'eux de croire à sa culpabilité.
J'en étais à un stade où plus rien ne me suprenait au sujet des gens en général.
Il pleuvait sur Richmond en ce vendredi 6 juin.
Je lui serrai le bras dans un geste de muette compassion et sortis à la suite du petit cortège. L'odeur de mort flottait encore dans l'escalier, et lorsque je débouchai dans la rue, je fus un moment aveuglée par le soleil.
(p.195)
La mort par asphyxie prend quelques minutes. C'est long quand chaque cellule hurle pour une bouffée d'air.
Les morts ne m'ont jamais inquiétée. Ce sont les vivants qui m'effraient.
-Comment se porte votre mère, Kay ? [...]
-Elle nous enterrera tous.
L'isolement est le plus cruel des traitements, et il ne m'était jamais venu à l'esprit que je n'étais pas tout à fait humaine du fait que je n'étais pas un homme.
Les morts ne m'effraient pas. C'est des vivants que j'ai peur.