L'autobiographie est un exercice périlleux. Pour s'y adonner, il faut avoir des choses à raconter et l'orgueil de le faire sans rougir. C'est un exercice auquel s'adonnent des hommes politiques en veine de visibilité ou des ambassadeurs à la retraite. Leurs mémoires, souvent sans intérêt, encombrent les étals des libraires, même si certains dépassent du lot. On a dit ici tout le bien qu'il fallait penser de ceux de
Roland Dumas par exemple ou la déception que nous ont inspiré ceux de Jean-Marc de la Sablière . Plus rarement, des chercheurs écrivent leur autobiographie intellectuelle.
Marc Ferro,
Luc Ferry ou
André Comte-Sponville s'y sont essayés avec des fortunes diverses. Au crépuscule de sa vie, le grand médiéviste
Georges Duby avait rédigé un court ouvrage retraçant son itinéraire (
L'histoire continue,
Odile Jacob, 1991)
Barthélémy Courmont n'est pas au crépuscule de la sienne. Né en 1974, ce chercheur en relations internationales a encore devant lui, on l'espère, de nombreuses années. Il a derrière lui une oeuvre déjà riche dont trois pages ne suffisent pas à énumérer les titres : des essais bien sûr, mais aussi des romans et, plus original, des guides de tourisme. Il raconte comment cette oeuvre s'est construite. Cette « égo-histoire » fera rêver les plus jeunes en quête de modèle et sourire les autres qui y retrouveront les étapes de leur propre parcours : une maîtrise d'histoire médiévale, un DEA en relations internationales, un stage à l'IFRI, puis l'entrée à l'IRIS – où
Barthélémy Courmont est aujourd'hui directeur de recherche. Cette carrière est ponctuée de séjours à l'étranger : à l'université Columbia pour y étudier, à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) pour y enseigner.
Ce parcours intellectuel a grandi à l'ombre d'un champignon : le champignon nucléaire de Hiroshima (même si les images d'explosion atomique régulièrement associées à l'explosion du 6 août 1945 sont apocryphes).
Barthélémy Courmont raconte comment il a visité pour la première fois Hiroshima en 1997. Très impressionné par cette expérience, il décide à son retour en France de consacrer son DEA puis sa thèse à la décision d'utiliser la bombe atomique. Il en vient à bout en 2005 et raconte la douleur et la joie que constitue ce « sacerdoce ». « J'aurais pu abandonner en cours de route ; j'en connais tant qui firent ce choix » écrit-il orgueilleusement (p. 140).
Barthélémy Courmont s'est intéressé à l'explosion nucléaire elle-même, aux motifs qui ont conduit les États-Unis de Truman à la déclencher. C'est l'histoire de la bombe du 6 août 1945. Mais il s'intéresse aussi à la marque laissée par cet événement, au Japon et à l'étranger. C'est l'histoire de la bombe après le 6 août 1945. La première est toujours aussi polémique. Aucune réponse morale ne peut lui être trouvée. En revanche,
Barthélémy Courmont s'emploie à nous en expliquer les ressorts : le souhait de hâter la capitulation nippone en faisant l'économie d'un débarquement coûteux en vies humaines et la volonté d'impressionner l'Union soviétique. La seconde reste passionnante : le Japon s'est (re)construit malgré Hiroshima mais aussi grâce à Hiroshima. Malgré Hiroshima : la décision de reconstruire la ville d'Hiroshima, et de ne pas en faire une ville mémorial témoigne tout à la fois d'une volonté de tourner la page et de l'énergie déployée pour ce faire. Grâce à Hiroshima : en se posant en victime de l'apocalypse nucléaire, le Japon fait l'économie d'un procès en responsabilité dans le déclenchement de la Seconde guerre mondiale.