Dans les portraits de famille, d'abord papa : bon père, bon époux, la terreur des femmes de ménage, qui rage, enrage mais finit toujours par accepter ce qu'on lui demande. Il est l'homme sur qui on peut compter. Puis la maman, à laquelle est consacrée le chapitre suivant : une femme (juge) qui hait la famille, ne cesse de le clamer, déteste les fêtes, les repas à préparer, qui préfère son deuxième fils à ses quatre enfants, et que rien ne contente sinon une bonne note à l'école. Enfin, articulés autour de la narratrice (qui n'est autre que l'auteur), les frères, la sœur (tous brillants élèves), toute une famille qui se retrouve en Bretagne, à Ploumor, pour vivre tout simplement sa vie de famille, avec ses hauts et ses bas, ses humeurs, ses petites tragédies, ses bonheurs maritimes.
Elle et moi sommes d’ailleurs, de ce pays-là où l’idée et l’assemblage des mots qui l’exprime vous emplissent d’un bonheur qui n’a rien à voir avec les petites convoitises et déceptions de la vie quotidienne.
Ce qui se passe dans les livres est tellement plus beau, plus grand, plus juste et plus désintéressé que ce qui se passe dans la vie. (p79)
Chaque je n’a d’existence qu’en empiétant un tout petit peu sur celui des autres, en piétinant un tout petit peu celui des autres.
Nous sommes tous aussi odieux, sans gêne, égoïstes les uns que les autres.
Ce jour-là j’ai compris quelque chose sur les mères et les filles, sur l’angoisse qui transforme les mères en pires ennemies de leurs filles, parce qu’elles souffrent dans cette chair qu’elles ont mise au monde et haïssent en même temps leurs filles de tenter l’aventure qu’elles mêmes n’ont pas su risquer.
Elle a connu la solitude, la souffrance, l’arrachement, le rejet, mais aussi le recommencement, la certitude que tout est encore et toujours possible.
C’est parce qu’elle ne montre guère de douceur que sa douceur est vertigineuse.
Elle nous fait lire Isaac Bashevis Singer, Chaïm Potok, Exodus, et, un peu plus tard, Réflexions sur la question juive de Sartre, Si c'est un homme de Primo Levi, Le sang de l'espoir de Samuel Pisar. Nous avons le droit de voir à la télévision les films sur la guerre et surtout sur les camps : Lacombe Lucien, Le chagrin et la pitié, et, chaque semaine, Holocauste, la première et la seule série américains télévisée qu'elle nous autorise à regarder. Maman n'aime pas les Allemands. C'est plus fort qu'elle. Si Anne et moi faisons allemand première langue, c'est pour que nous soyons dans la meilleure classe : elle sacrifie à notre intérêt scolaire son sentiment le plus intime.
La voix de maman tremble. Je m'approche et lui prends la main.Elle serre mes doigts sans me regarder, avec une violence rare dans ses gestes physiques.
《Oui, répond l'amie de sa voix claire.Tu as raison; je dois le reconnaître :maman a eu une belle mort.》