Didier Daeninckx a été journaliste localier aux confins de la Seine-Saint-Denis, c'est dire qu'il connaît bien ce que certains nomment avec mépris la rubrique des chiens écrasés, autrement dit les faits divers. Pourtant comme l'auteur le rappelle dans sa préface, « le fait divers est le premier monument érigé à la mémoire des victimes, même si ce n'est qu'un pauvre monument de papier noirci».
Ce recueil petit mais costaud, composé de 5 nouvelles, « Prise de tête », « Loto stoppeur », « Je touche du bois », « Douche franche », «Profession de foi », fait l'éloge, hélas funèbre, du fait divers. Si toutes sont excellentes, reflètent le talent de
Didier Daeninckx ainsi que la clarté synthétique de sa pensée, mettent en valeur son style sans bavures ni fioritures ainsi que son érudition historienne, ma préférée est la première.
C'est lors d'un voyage aux Nouvelles-Hébrides pour étudier les traces laissées dans la mémoire collective des insulaires par l'exposition coloniale de 1931 au cours de laquelle furent exhibés à Paris des Kanak de Nouvelle-Calédonie présentés comme des hommes anthropophages, que
Didier Daeninckx exhume des archives d'un ancien journal local, un entrefilet de mai 1931 relatant une série d'exécutions de Vietnamiens, dont les têtes furent tranchées par une guillotine tout spécialement acheminée depuis Nouméa. Voilà la genèse de la première nouvelle du recueil, « Prise de tête », tranchante comme un couperet, qui sort de son pudique silence institutionnel l'une des nombreuses exactions répugnantes de la colonisation. Les mélanésiens ayant beaucoup résisté pour préserver leur mode de vie, leurs coutumes, les colons jamais à court d'idées, ont déporté aux Nouvelles-Hébrides, des vietnamiens plus souples et exploitables. Mais même dociles, les « jaunes » se rebellent lorsqu'ils tombent comme des mouches en transformant les piments verts en poudre, victimes des particules urticantes qui s'attaquent à leur épiderme et détruisent leurs pupilles. En réponse à leurs revendications, les meneurs sont arrêtés... Un incendie dans un entrepôt de cacao met le feu aux poudres, un contremaître à la cravache punitive est tué, on ne sait par qui... Bilan : 6 coolies guillotinés pour l'exemple.
Comme le dit
Didier Daeninckx dans sa préface : « Je sais que les sentences de mort se prononcent au nom du peuple français, et j'ai non pas envie, mais besoin de savoir ce que l'on a fait en mon nom ».