Un problème prévu est un problème en moins.
Inutile de se laisser aller aux tempêtes cérébrales de la parano.
— Maman…
Quelque chose s’effondrait en Alice. C’était comme si sa mère disparaissait en tant que telle, définitivement. L’ultime noyau d’amour se volatilisa, comme une roche pulvérisée par la dynamite, dans un éblouissement de douleur mentale. Tu n’es plus ma mère, pensait-elle, la glotte bloquée, comme asphyxiée par un gaz intérieur… Tu es la Chose. Tu es devenue…
Alice savait que cette journée qui s'achevait refermait un livre entier de son existence. Elle n'était que le premier mot sur une page solitaire, qu'une tempête s'apprêtait à balayer, comme une vulgaire feuille tombée de l'arbre.
C'était ça son pressentiment. L'intuition que le ciel s'éclaircissait pour donner un second souffle aux éléments. Elle en était sûre, quelque chose allait souffler sur la ville. Une tempête.
Et cette tempête, c'est cela qui la faisait trembler et frissonner, cette tempête prenait le visage de sa mère.
Sa mère qui devait certainement être en colère.
Très en colère.
(Page 39)
Un problème prévu est un problème en moins.
J’ai commis une grossière erreur en ne prenant pas en charge ton éducation moi-même. Je t’aurais enseigné les véritables mystères de la vie. Je t’aurais fait découvrir l’extase de la fusion transpsychique… le rituel du sang, le Saint-Graal… Tu ne dois pas t’en faire, Alice, avait alors murmuré sa mère. Rien ne peut nous arriver… notre généalogie est spéciale, nous… je t’expliquerai plus tard, quand nous serons loin d’ici, je t’expliquerai pourquoi nous appartenons à une race supérieure, faite pour dominer l’humanité dans un futur proche.
Je préfère que vous ne me disiez rien plutôt qu’un tissu de mensonges mal improvisés.
La finalité de toute information c’est d’en camoufler une autre, bien plus importante.
Le monde réel n’était pas aussi docile que les jeux d’enfants auxquels elle se livrait encore, dans la solitude de sa chambre ou du grenier. On n’y transformait pas aussi facilement quelques poupées et décors de papier en château de princesse florentine ou en navire magique de quelque fée marine d’inspiration celtique. Ici on était dans le monde dur et concret des adultes. Avec le bruit des fax et des machines à écrire. Avec l’éclairage du néon. Et avec des problèmes.
Le 17 avril 1993, quelques minutes avant que sa vie ne bascule tout à fait, Hugo Cornélius Toorop avait contemplé son visage dans la glace. Il y avait vu une longue tête un peu mélancolique, avec des sourcils en accents circonflexes.