Ce deuxième roman de
Maurice G. Dantec est en quelque sorte une variante de sa première oeuvre,
La Sirène Rouge : en effet, l'intrigue s'y développe encore autour des agissements d'une organisation secrète internationale de tueurs en série qui filment pour leur plus grand plaisir l'agonie de leurs victimes.
Le texte commence de la façon la plus calamiteuse, par la présentation sur plusieurs pages de la bibliographie consultée par l'auteur. le m'as-tu-vuisme du procédé fait irrésistiblement surgir la comparaison entre la culture et la confiture.
Zola aussi accumulait une abondante documentation avant d'écrire, mais il n'a jamais éprouvé le besoin de la citer dans ses oeuvres.
La première partie du roman nous décrit le quotidien sordide d'Andreas Schaltzmann, un tueur psychopathe persuadé que la planète est envahie par le Mal, lequel dans son imagination prend la forme d'aliens et de nazis. Pour la circonstance, l'auteur renonce dans ce passage à son style « baroque » habituel, pour adopter une écriture clinique mieux adaptée à son récit. On reste cependant loin de Capote, ou même de Mailer.
Intervient ensuite le personnage principal, Arthur Darquandier (Dark), « cogniticien » et informaticien de génie, qui a élaboré une simulation numérique du cerveau humain. Avec deux spécialistes des tueurs en série, un vieux scientifique et une ravissante Russe, il tente de coincer Schaltzmann, arrive trop tard (après la police !), mais découvre qu'un autre meurtrier particulièrement sanguinaire opère en Europe dans la plus totale discrétion. Autorités incrédules et adversaires scientifiques malveillants finissent par écoeurer Dark, qui lâche tout et part pour plusieurs années au Canada, puis en Australie où il participe à des projets technologiques de pointe et développe au passage une intelligence artificielle.
De retour à
Paris pour affaires, il retrouve Svetlana, la belle Russe – dont il est amoureux. Elle lui confie que, bien que le dossier soit officiellement clos, elle continue à s'intéresser au mystérieux serial killer européen et a réuni des preuves indirectes de son activité. L'analyse de ces données par l'intelligence artificielle révèle en fait l'existence d'une organisation clandestine dont les membres s'adonnent au meurtre sadique selon les règles d'une sorte de jeu de rôles. Dark part en chasse et grâce à son I.A., dans laquelle il a programmé l'identité de Schaltzmann, il cerne peu à peu les criminels. Il découvre de nouveaux massacres et acquiert la conviction que la « Famille » prépare des abominations exceptionnelles.
Passons sur quelques invraisemblances du scénario. Reste que l'intérêt suscité par les différentes parties est très inégal. Si la descente aux enfers de Schaltzmann est spectaculaire, voire pathétique, l'enfilade de scènes entre Dark et les deux autres criminologistes est proprement assommante : on boit du thé dans un intérieur chic, on échange deux ou trois idées défaitistes sur les serial killers, Dark commet une gaffe vis-à-vis de Svetlana, il rentre chez lui en se maudissant… Tout recommence le lendemain. Et les pages défilent… En revanche, le récit des expériences canadiennes et australiennes de Dark est prenant, mais par sa longueur, il vient rompre assez fâcheusement le fil de l'intrigue principale, même si le thème des meurtres en série est rappelé de loin en loin. C'est finalement lorsque Dark se lance sur les traces des assassins que le récit rebondit. Cette traque insolite, mi-virtuelle, mi-réelle, ne peut laisser indifférent et l'on éprouve alors le désir de connaître le fin mot de l'affaire. D'autant que l'auteur laisse pressentir une interprétation « universelle » du comportement des tueurs en série...
Cet espoir est malheureusement déçu, car en fait de serial killers diaboliques, Dantec ne nous montre qu'une bande d'allumés dont l'apparence est plus ridicule que terrifiante et le comportement totalement convenu dans ce genre de récits
Les « héros » eux-mêmes sont assez falots : on a du mal à s'intéresser aux démêlés de Darquandier avec ses adversaires et ses alliés ; la belle Svetlana, dont on ne cesse pourtant de vanter les vertus physiques et intellectuelles, est traitée en vraie potiche : elle fait le thé, sert la vodka et n'avance qu'incidemment une idée digne d'être reprise par Dark.
C'est dommage, car Dantec avait la matière d'un roman éclaté, multipliant et combinant les points de vue pour accéder à une véritable réflexion sur le thème du Mal. Il esquisse ce projet, mais son incapacité à le faire aboutir se révèle rapidement. La question de fond n'est pas traitée, malgré une longue digression sur les principes de Vie et Mort dans la Kabbale. Et le soufflé retombe.
Quant à l'écriture des Racines du Mal, elle souffre des mêmes défauts que celle de
la Sirène rouge, encore aggravés par une forte hausse de la tendance au pontifiage. Passé la première partie, l'auteur retrouve son style enflé. Il empile les chevilles, les tics de vocabulaire, les comparaisons outrées, les changements de temps incohérents, les ruptures dans la narration. Il reste même quelques bourdes orthographiques (inadmissibles dans un ouvrage publié par un éditeur aussi prestigieux que Gallimard). Mais le pire réside dans l'accumulation systématique d'images d'horreur destinées à démontrer l'inhumanité des psychopathes meurtriers. Dantec semble ignorer le principe selon lequel, pour toucher le lecteur, mieux vaut insinuer, suggérer, faire imaginer que montrer complaisamment.
Au total, un ouvrage bien pâle, dénué même des qualités naissantes qu'on avait appréciées dans
La Sirène rouge. Dantec avait les éléments d'un grand roman ; il n'a produit qu'une série B.