Étant donné la nature altière, absolue de Clément, et pour des raisons évidentes d’une jalousie particulièrement angoissée, le théâtre devait représenter, pour lui, comme un défi abominable à son infirmité. Il ne le dirait pas, cela faisait partie de son orgueil et de sa discrétion, mais il y aurait toujours des reproches dans ses silences. « Comment peux-tu vivre dans l’adulation, l’agitation, les hommages des inconnus quand tu sais ton mari cloué dans un fauteuil d’infirme ?… »
Lucrèce était une princesse aux mœurs féroces et dissolues, nul ne l’ignore, bien que Victor Hugo ait exagéré le personnage. Elle fait empoisonner ou étrangler les amants dont elle ne veut plus. Un jour, elle s’intéresse à un jeune seigneur inconnu, l’entoure d’honneurs sans parvenir à le troubler. Il la hait, la méprise parce qu’elle a fait empoisonner ses amis. Et il la tue. Or, il est son fils et elle n’a pas osé le lui révéler.
Licencié de mathématiques, attaché à un cours par correspondance et donnant des leçons particulières, Clément avait surmonté ses épreuves sur le plan social, mais il avait trop vite abandonné la lutte pour tenter de retrouver une vie physique normale. Fatalisme, orgueil, manque d’autorité d’un père… C’était un être d’un grand rayonnement mais secret, ombrageux à décourager les approches les plus discrètes et les plus affectueuses.
Cette veuve, désarmée et gracile en apparence, savait assez bien se défendre. Nature complexe qui n’attirait pas l’amitié. Gémissant d’être sans argent, elle dépensait celui qu’elle n’avait pas; coquette, mais d’une coquetterie où toute spontanéité était absente et dont la tentation amoureuse n’était pas le but; mère d’un petit garçon frêle qu’elle bousculait et gâtait ridiculement, par foucades.
Écoute, ma petite, laisse Clément à sa solitude et à son travail. S’il refuse de te recevoir, c’est qu’il a ses raisons. Je ne suis pas aveugle et d’ailleurs tu ne dissimules rien : je vois que tu as pour Clément un petit sentiment. Mais un petit sentiment ne peut pas suffire. Il faudrait offrir à mon pauvre garçon, non seulement un amour, mais un immense, un héroïque amour.