Deux récits de mêlent dans ce roman, deux récits à deux voix. A la première personne d'abord, celui de la toute jeune Tamouna (diminutif de Thamar) qui vit à Tbilissi en Géorgie et passe ses vacances au bord de
la mer Noire à Batoumi. C'est là qu'elle rencontre Tamaz qui va susciter ses premiers émois et qu'elle n'oubliera jamais. Mais la vie est difficile au début du XXième siècle en Géorgie quand les Russes occupent le pays et y imposent la loi bolchevique. La famille de Tamouna émigre en France avec l'ensemble du gouvernement en exil logé dans le château de Leuville sur Orge. Tamouna voit avec émotion son père, ministre en exil, partir se battre contre l'occupant. Les derniers mots qu'elle lui jette au visage : « je te hais » laisseront une trace indélébile dans sa mémoire.
Mais la vie de la communauté géorgienne s'organise à Paris. Dans la mémoire collective parisienne figurent les fameux « taxis russes ». Ici on apprend que beaucoup étaient en fait géorgiens. Les oncle et tante vont ouvrir une crèmerie, lieu de fabrication des yaourts de leur pays natal.
Le mode de vie a changé mais on essaie de préserver les traditions : baise-main pour les dames, jolies toilettes, soirées chics, goût des études. Déclassés mais pas abaissés.
Tamaz réapparaît puis part vivre sa vie dans le sud de la France et enfin en Amérique.
La guerre passe et avec elle se discute la place des Géorgiens émigrés en France : certains vont vouloir se battre contre les Russes, leur ennemi depuis l'arrivée des bolcheviques. Mais comment expliquer à leurs petits-enfants pourquoi ils ont donc revêtu l'uniforme allemand ?
Quand Rostropovitch saluera l'effondrement du mur de Berlin, la vieille dame et ses descendants respireront un air nouveau : fini de se rendre en Géorgie en touristes ! Tout semble à nouveau possible.
Et puis un autre récit, à la troisième personne, comme si Tamouna était déjà « ailleurs »
Arrivée à l'hiver de sa vie, Tamouna voit s'organiser sa fête d'anniversaire, ils seront quarante ! Non, un de plus car elle a invité Tamaz. Viendra-t-il ? Déjà un peu absente au présent, la vieille dame écoute distraitement ses enfants et petits-enfants, sa famille groupée autour d'elle comme au temps de l'exil. Encore coquette, elle pose des cotons sous le masque à oxygène qui l'aide ponctuellement à respirer et elle attend.
C'est tout un monde qu'on regarde, qu'on écoute, un monde fait d'élégance, de volonté, de pudeur des sentiments. Les débordements d'émotion à la russe qu'on connaît bien n'ont pas droit de cité ici. On sait se tenir et vivre en secret ses émotions.
Beaucoup de délicatesse dans ce roman dont on sait qu'il se nourrit de l'histoire familiale de l'auteure et qui ressemble à un travail de mémoire, pour les descendants.