J'habite près de la frontière, au pied de montagnes que je connais par cœur. Je les ai apprises en chercheur de minéraux et de fossiles, puis en alpiniste. Le commerce de ce que je trouve et de pelures sculptures en pierre et en bois me procure un gain aléatoire.
Pendant l'automne 2015, au terme d'audiences chargées au tribunal de Turin, je me suis remis à écrire. Comme lorsque j'escalade une paroi, mon écriture exige que je me concentre sur la surface étalée sous mon nez avec la plus grande précision possible. Je suis allé à la ligne et j'ai commencé (Préface)
Je m’arrête, je me campe devant lui. Un écrivain ? Tout est faux, il a inventé cette histoire. Qui peut croire que je rendais l’argent ? On les connaît les écrivains, ils vendent des histoires. L’aubergiste me regarde de travers : «Ne sois pas rabat-joie. Pour une fois que ce fichu pays intéresse quelqu’un. » Quels bobards puis-je lui débiter ? «Avec le succès du livre, d’autres témoins interviewés ont confirmé eux aussi les passages gratis. Ils veulent faire une émission pour nous inviter eux et moi. » C’en est fini de ma petite satisfaction d’être encore utile. L’attention, la publicité mettent fin aux traversées par ici. Je réponds à l’aubergiste que même sur mon lit de mort je ne reconnaîtrai jamais l’avoir fait gratis.