Je suis un homme qui ne sait pas poser de questions, même pour une information. C'est sans doute pour ça que j'ignore la foi. La divinité veut qu'on frappe à sa porte, qu'on l'interroge. Il faut une catapulte à l'intérieur de soi pour arriver à cette intimité de s'adresser avec le tu.
En quelques mois, j'ai fréquenté un curé, un ouvrier musulman, un rabbin. Aucun contact avant, et puis les trois à la fois. IIs m'ont permis de me mettre à leurs balcons, où j'ai éprouvé des vertiges qui me sont inconnus lorsque j'escalade des précipices. De leurs balcons, j'ai regardé en bas : la divinité ne se trouve pas dans les atmosphères célestes, pauvres en oxygène. Elle se trouve en dessous, comme fondement du vide et du balcon.
Les paroles de leurs écritures sont de pour aller et revenir de l'abîme.
J'arrive au Musée archéologique, isolé dans un cercle de moteurs allumés. Dans l'entrée, leur vacarme cesse.
Me voici dans un lieu sacré, un sacré disparu. Les statues des divinités se sont désengagées du culte et du commerce avec l'espèce humaine. Il est resté une grandeur qui ne dépend pas de la fumée des autels. Elles ne sont pas en exil, elles sont réunies en assemblée à l'intérieur du musée, par opposition au dieu exclusif et unique du monothéisme. Plus anciennes que sa révélation, elles conservent un sentiment de supériorité envers l'ultime divinité arrivée, qui leur fit le tort de les ignorer. Elles n'éprouvent aucun ressentiment. Elles ont été honorées par des poètes, des philosophes, des dramaturges, des mosaïstes et des sculpteurs. Elles ont parlé les langues savantes, le grec et le latin, en habitant les entrailles des volcans, les sommets enneigés, les fonds marins. Elles ont habité le monde, pas le ciel.
Qui crois-tu être si tu n'es ni brillant ni génial? Nous sommes les enfants de la divinité. Jouer le rôle des incapables ne rend pas justice à notre créateur. Ce n'est pas bien de nous rabaisser, pour ne pas déranger eux qui nous entourent. Nous sommes conçus pour briller comme le font les enfants. Nous devons afficher avec gratitude les dons reçus. Quand tu es brillant et génial, tu encourages les autres à l'être aux aussi.
J'écoute les miettes de la journée de l'homme près de moi,
les économies, la femme au loin, les enfants élevés sans lui,
la maison en construction sur le haut plateau avec la paie
du marbre. Je lui dis que ma maison est le fruit de mes
années passées à extraire du charbon. Nous sourions
de notre travail en noir et blanc.
Devant une image, je sens le manque de ce qui est resté
hors du périmètre cadré. L'image dresse des bords comme
une frontière et moi j'ai envie de la dépasser.
Le curé continue à m’écouter tout en prenant une bouteille de vin et deux verres. Il remplit le mien à ras bord. C’est l’usage chez les ouvriers.
Si on offre du vin, on remplit le verre. Ces sont les riches qui en versent peu. Eux, ils ne boivent pas, ils sirotent. Si on en offre à un ouvrier, on en verse jusqu’à ce que le verre déborde.
Certains d'entre eux pourraient s'arrêter, mais aucun de ceux qui sont arrivés jusqu'ici ne l'ont fait. Une adresse en poche leur sert de boussole. Pour nous qi n'avons pas voyagé,ils sont le monde venu nous rendre visite. Ils parlent des langues qui font le bruit d'un fleuve lointain.
J'ai accompagné des gens pour franchir la frontière. La miséricorde n'a rien à voir, eux demandaient, moi je répondais. Une fraternité à suffi.
Autrefois, il y avait les explorateurs qui découvraient des peuples inconnus,en fouillant à travers le monde. Aujourd'hui, il y a ces visiteurs qui débarquent sur une terre ferme, qui demandent comment elle s'appelle et où elle se trouve. Ils sont inquiets d'être loin de l'endroit qu'ils ont écrit dans leur poche.
La différence entre ceux qui vivent à la montagne et ceux qui vivent au bord de la mer doit se trouver dans les rêves. Et ceux des villes surpeuplés? Je décide qu'ils rêvent les un des autres. (p. 56)