La terre a un désir de hauteur, de ciel. Elle pousse les continents à la collision pour dresser des crêtes.
Elle se frotte autour des racines pour se répandre dans l'air par le bois.
Et si elle est faite de désert, elle s'élève en poussière. La poussière est une voile, elle émigre, elle franchit la mer. Le sirocco l'apporte d'Afrique, elle vole des épices aux marchés et en assaisonne la pluie.
Un athlète prépare son exercice par bien des essais pour s'entraîner avant. Un assassin répète après dans ses nerfs jusqu'à l'épuisement le mouvement de la mort, pour s'entraîner à l'envers à s'en débarrasser.
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La mer est violette comme la fleur du romarin, le vent du dernier soleil projette les cheveux de Làila sur mon front.
C'est comme ça que tu prends mes pensées, avec tes cheveux ?
Non, dit-elle, c'est une habileté animale, un reste de cerveau de serpent, de poisson, d'hirondelle, ou du moins c'est l'idée qu'elle se fait de ce don. Mais elle n'entend que les pensées très proches.
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Un ancien, un grand-père qui n'a pas de petits-enfants, m'instruit. Il vit en Argentine depuis que dans l'Apennin on taille son bois de chênes pour en faire des traverses de voix ferrées. Il fuit ce monde qui efface les siècles des montagnes pour les mettre sous les roues des chemins de fer.
Il existe une grande variété de bouches, (...) des bouches gouttières où grondent salive et bavardages, des bouches marsupiales qui abritent toujours un petit qui dort, des bouches enveloppes fermées, jamais expédiées.
J’entends sa voix de bouteille tout juste ouverte, joyeuse et gutturale.[…]
Elle s’appelle Làila, un accent en forme de tuile résonne sur la première voyelle, deux syllabes de berceuse.
Ils nous massacrent tous, nous, ceux de la révolte.
Nous giclons d’une cachette à l’autre.
Nous portons sur nous l’odeur de la peur. Dans la rue, les chiens le sentent et nous suivent.
Dans la fuite nous cherchons une vengeance.
L’Argentine arrache une de ses générations au monde comme le fait une folle avec ses cheveux. Elle tue sa jeunesse, elle veut s’en passer. Nous sommes les derniers.
Je suis ici depuis des années pour aimer une femme et maintenant je suis en guerre.
L’amour est un échange de fortes étreintes, un besoin de nœuds. Et au bout de chaque étreinte, au bout de cette paix donnée, il reste le non-dit d’un adieu endurci.
Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur le soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait. (p. 23)
Il y a des soirs où le ciel est un œuf et on peut le regarder de l'intérieur.
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