A la belle époque, les forains exhibaient des fauves sur la place, et les riverains se plaignaient des rugissements que poussaient la nuit les bêtes en cage. Un siècle plus tard, c'était de tout autres fauves qui sévissaient sur la zone, gîtant toujours dans des cages, mais cette fois d'escalier. Ils s'y adonnaient à divers trafics , au vif mécontentement de l'humble population qui vivait là parce qu'elle n'avait pas les moyens de partir.
Il avait besoin d'occuper un maximum d'espace sonore, d'exister fortement dans toutes les dimensions de la vie.
Il suffit souvent de garder le silence pour que l'autre croie que vous vous intéressez, avec votre air circonspect qui très paradoxalement rassure, vous confère une réputation de compétence et d'objectivité, alors que je n'en avais vraiment rien à faire de leurs histoires de compost, de vide-greniers.
Tu savais très bien qu'ici, rien ne demeurait caché. Oui, c'étaient des mots gratuits pour semer le doute, agiter l'air.
Plus ils approchaient de la place, plus les commerces se réduisaient à deux catégories : les pompes funèbres et les agences immobilières. Tous ces morts, sans doute, qui libéraient leurs appartements et offraient des opportunités.
J’étais une femme seule qui mangeait de la salade piémontaise dans une cuisine inconnue, attendant qu’on lui rende sa vie d’avant, ou qu’on lui en offre une autre plus acceptable.
- Les soucis sont résistants, ai-je répondu, ils se relèvent du pire comme du meilleur.
Tu semblais me reprocher les désagréments comme si c'était moi la cause de nos maux, et non un désastre objectif.
« Alors j’ai compris que c’étaient des démons. Ils n’espéraient pas seulement nous faire déménager. Ils voulaient nous voir souffrir, nous empêcher de penser, de nous aimer, fracturer le complexe édifice de notre entente.
Ils projetaient notre éradication totale et définitive » .
« Ne voyait - on pas à leurs demeures bien tenues , à leurs panneaux solaires , à leur compost , qu’ils pratiquaient la non - violence » ? .
Nous avions appris, par exemple, que notre système de chauffage cent pour cent énergie renouvelable ne fonctionnerait, en définitive, jamais. Le bureau d'études s'était trompé dans les calculs. Le volume d'eaux usées récupérable sur la parcelle ne suffisait pas à alimenter la chaudière. Bref, dès les premiers beaux jours, on forerait le bitume pour nous amener le gaz.