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3,97

sur 541 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dès les premières lignes de ce roman, le lecteur est plongé au fin fond de la campagne profonde, les deux pieds dans la merde. Si le mot « merde » vous paraît choquant en début de chronique, vous n'êtes pas au bout de vos peines si vous décidez de vous lancer dans ce livre. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que Jean-Baptiste del Amo ne met pas de gants quand il s'agit de décrire cet univers paysan.
Sous les coups de sa plume exigeante et magnifiquement juste, il entraîne le lecteur dans l'ambiance de ce lieu isolé. La description du quotidien est chirurgicale et froide. Les Hommes agissent mécaniquement, comme des animaux. le travail doit être fait, les relations humaines n'existent que pour la descendance et les sentiments n'ont pas leur place. La violence est omniprésente dans tous les échanges entre les protagonistes humains et devient systématique dans le rapport avec les animaux. Ces animaux qui sont d'ailleurs les principales victimes de cette culture insensible.

Au fil des pages, tous les sens sont mis à contribution dans la lecture. On voit ce monde se déliter, on donne les coups, on ressent les douleurs, on entend les grognements, on respire l'odeur de la sueur et des excréments, on découvre le goût du sang… plus qu'un récit rural, c'est un roman de sensations !

Même si l'histoire de cette famille n'est pas d'un grand romanesque, l'écriture lyrique de Jean-Baptiste del Amo confère une lenteur qui nous intègre au tableau. Il nous abreuve de détails pour nous faire vivre en immersion le quotidien de ce monde reclus. Sur le moment, les scènes m'ont semblé traîner en longueur mais quelques jours après avoir refermé le livre, je me sens encore poisseux, imprégné de l'atmosphère. Ne serait-ce pas là, l'attestation d'un grand roman !
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Règne animal est un cauchemar de merde et de viande, laissant par moments la sensation d'être couvert soi-même d'immondices. Pas de place pour le charme de l'imaginaire ni pour la poésie rustique, Jean-Baptiste Amo opte pour un réalisme sale dans ce roman au souffle long qui piège les désastres du modèle agricole intensif.

L'auteur ne rate pas sa cible en décrivant le quotidien d'une ferme vivrière du début du XXe siècle pour laquelle le bétail était une richesse, devenue en 1981 une porcherie strictement organisée selon une logique productiviste. L'écriture n'édulcore ni ne masque la dureté ou la maltraitance érigées en mode de fonctionnement, elle en souligne tous les détails sordides. Comme pour laisser le lecteur ou la lectrice sans distance possible pour échapper à la cruauté banalisée de ce type d'élevage qui voit les hommes passer de paysans à exploitants et les animaux de cheptel à minerai.



Avec Règne animal, Jean-Baptiste Amo balaie d'un revers de la main toute vision sublimée de la vie rurale, c'est un texte radical avec l'abjection comme moteur. Mais il nous console avec de magnifiques portraits de personnages malheureux face au monde qui les entoure. Il trempe sa plume dans les crevasses d'hommes qui épuisent leurs forces dans un système qui les dévore, eux et leur famille. Comme il montre toutes les imperfections au grand jour laissant le sentiment d'une interminable défaite contre laquelle il est difficile de lutter.
Ce qui nous retient également captif dans ce bouquin c'est l'écriture. L'auteur fend l'air vicié avec des mots sûrs et pénétrants. Même si le style soutient le scalpel qui égorge les porcelets impropres à l'élevage, les mots nous sauvent des malheurs infinis de cette famille. Non qu'ils offrent une aspérité réconfortante ou une poche d'oxygène mais ils confèrent à ce roman une intensité rare, une force magnétique rarement rencontrée dernièrement.
De manière insidieuse, ce livre se fraye un chemin dans la tête faisant de nous des voyeurs malmenés, et ne nous lâche pas, même au-delà de la lecture. Ce roman dégoûte, ce roman déprime, mais son esthétique littéraire à laquelle j'ai succombé en fait une oeuvre unique.
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Je viens juste de terminer ce livre extraordinaire.
Ça commence par une première partie digne de Flaubert, de Zola, De Maupassant. On est plongé, aspiré dans le quotidien d'une famille de fermiers du Gers à la fin du XIXème siècle. Les descriptions sont d'un réalisme déroutant. L'homme vit avec ses bêtes, comme ses bêtes. On poursuit ensuite avec l'horreur de la première guerre mondiale. Il y a ce passage très éducatif qui détaille le long acheminement des bêtes qui serviront de viande de boucherie pour nourrir les armées au front. le tout souvent ressenti du point de vue animal.
La deuxième partie se poursuit dans les années 80. L'horreur continue, mais en plus moderne. On en vient à l'élevage industriel. Je n'en dirai pas plus. de nos jours, tout le monde sait très bien ce qui se passe dans ce genre d'endroits.
J'ai relevé dans certaines critiques que des lecteurs n'ont pas supporté les descriptions des conditions de vie humaines ou animales, préférant des sujets plus heureux. Je comprends. Cependant le mérite de Jean-Baptiste del Amo est bien de nous retracer la vie de fermiers dans une saga familiale, sur un siècle, pour les accompagner dans leurs comportements déviants les menant à la dégénérescence de leurs descendants, mais aussi de les suivre dans leurs rapports tout aussi pathologiques avec leurs animaux. Malgré tout, ces éleveurs et cultivateurs ne me paraissent pas complètement responsables de ce qui leur arrive. L'intrigue se noue dans le cadre d'une réalité socio-historique qu'ils leur échappe totalement. Que ce soit la guerre de 14 ou l'élevage industriel actuel. Ils suivent leurs époques, sans la distance qui leur serait nécessaire pour une prise de conscience. Les paysans de 1897 sont complètement isolés, incultes et ne font que reproduire le schéma de leurs aïeux. Ceux de 1980, ne sont pas beaucoup plus avancés et Henri, le patriarche, lui aussi, reproduit le mode de pensée de son père Marcel. Déterminisme absolu ! Sauf un miracle, on voit très bien, dès les premières pages, que tout cela va mal finir. Mal finir pour eux, mais aussi pour la société qui les a produits.
Jean-Baptiste del Amo met donc en garde ses lecteurs. Attention aux conséquences de nos comportements, nous qui, pour une majorité, avons maintenant la distance nécessaire pour comprendre la société qui nous a produits. Nous savons maintenant que l'environnement dont nous sommes issus se dérobe inéluctablement sous nos pas, par notre faute individuelle et collective. C'est pourquoi ce qui est décrit dans ce livre est effroyable, insupportable, mais absolument nécessaire pour nous ouvrir les yeux une fois de plus, et pour essayer d'infléchir nos habitudes vers une plus grande harmonie entre humains et avec notre environnement. La politique de l'autruche ne mène nulle part.
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Un jour, sur un salon, j'échangeais avec un auteur que j'apprécie, et celui-ci de conclure notre discussion :
- Vous devriez lire Règne animal de Jean-Baptiste del Amo.
Intrigué, je me procure le livre en question qui s'en va rejoindre mon immense PAL. Voici que l'auteur fait parler de lui avec son nouveau roman, je tend l'oreille, je me souviens du conseil, je fouille, je l'extrais de la fameuse pile et là...
Je tombe sur l'une des plus belles plumes qu'il m'ait été donné de lire.
Je suis scotché, envoûté par l'écriture.
Je me retrouve dans cette ferme, au milieu de ces paysans, la vie y est rude, violente parfois,  la terre est dure à travailler, les corps subissent et quand la maladie s'en mêle il faut appeler à l'aide. Oh, bien sûr, on n'a pas les moyens, le gîte, le couvert, modestes mais... en ce temps-là on se contente de peu.
Éléonore observe ce monde d'adultes qu'elle ne comprend pas toujours, ses rites, ses croyances qu'elle défie parfois, provocante.
Et puis, il y a Marcel.
Qui vient d'arriver, qui l'attire, qui la fait grandir ou du moins lui en donne l'illusion.
Et un jour d'août 1914, mobilisation générale, Marcel doit partir.
Une première partie magnifique, chaque scène est décortiquée, on ne manque rien, on vit littéralement dans la peau des personnages, on ressent leurs émotions, on accomplit leurs gestes, on sue avec eux, on souffre, on se tait...
Deuxième partie, 1981, Éléonore est toujours là,  vieille, silencieuse, une ombre.
La ferme est devenue une ...porcherie. Henry et ses fils, Serge et Joël en sont les exploitants.
Là, vous allez tout savoir.
Del Amo va vous raconter dans le moindre détail la vie et les moeurs  des cochons et de ceux qui les élèvent.
Et quand Jean-Baptiste écrit, comme vous l'aurez compris, vous êtes immergé. Préparez-vous à plonger dans le lisier. Narines fragiles s'abstenir. Il vous livre les sons et les odeurs.
Trois hommes, trois destins, liés.
Chez ceux-là, il n'y a pas de place pour la tendresse ou  l'amour, il y a les non-dits, le passé qu'on aimerait fuir ou oublier dans le travail.
Dans Règne animal, même les enfants n'apportent pas de lumière,  qui tentent de survivre dans un monde où les porcs semblent avoir plus d'importance qu'eux.
Monde cruel que l'auteur sait, là aussi, si bien décrire.
Un roman noir, une écriture riche, sans concessions, qui prend aux tripes.
Et quel vocabulaire ! J'aime quand je découvre des mots sortis des oubliettes de la littérature.
Monsieur del Amo, dans quelques jours, j'irais à votre rencontre et je m'en réjouis.
J'ai des questions à vous poser...






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Mais quel livre !... Il continue à résonner en moi depuis des jours, malgré l'enchaînement d'autres lectures. Je n'arrive pas à pardonner aux jurés du Goncourt de l'avoir écarté de la sélection finale. Une telle écriture. Un propos si fort... Certes, il est dur (mais franchement, ces gens ont couronné Les Bienveillantes qui ne l'était pas moins), certes il mène parfois jusqu'à la nausée... et alors ? La littérature c'est ça aussi. Faire mal, confronter l'homme aux horreurs qu'il commet tous les jours, le bousculer pour tenter de le changer peut-être. Et lorsque c'est fait avec une telle plume, un tel talent, une telle force, comment ne pas être complètement remué ?

Heureusement, l'une de mes libraires préférées a insisté pour que je le lise parce que j'étais comme beaucoup, cette histoire d'une exploitation familiale d'élevage porcin qui s'étend sur l'ensemble du 20ème siècle... comment dire, ça ne m'attirait pas du tout. Mais cette jeune femme avait été la première à me parler du génial Défaite des maîtres et possesseurs alors, je lui ai fait confiance. Je crois que désormais ma confiance lui est définitivement acquise !

Il y a deux temps distincts dans le livre, le début puis la fin du siècle. le début puis la fin de la lignée. La première partie est époustouflante dans sa façon de dire le temps qui passe lentement, au rythme de la nature, par la grâce de l'observation d'Eleonore, l'enfant qui, quatre-vingts ans plus tard, devenue une matriarche fatiguée observera sa famille sombrer avec tout ce qu'elle a créé et finalement détruit à force de recherche de la productivité à tout prix. Cette première partie raconte la campagne dans toute sa pauvreté, l'enfance d'Eleonore auprès d'un père malade qui continue à se tuer à la tâche et d'une mère rude et sèche, dénuée d'affection, que l'on ne désigne que par le terme de génitrice puis de veuve lorsque le père finit par mourir. Il y a des pages sublimes qui englobent les animaux et les hommes dans un même opéra tragique, d'une violence dont la plume de Jean-Baptiste del Amo parvient à tirer une extrême poésie. Puis vient la guerre, qui vide les campagnes de ses paysans et bientôt de ses animaux pour nourrir les troupes (terribles scènes qui racontent le destin de ces pauvres bêtes menées en wagons... et qui en rappellent d'autres quelques décennies plus tard lorsque les bêtes seront remplacées par des hommes). La guerre qui ne rendra les hommes que très cabossés voire défigurés, à l'image de Marcel, l'unique perspective d'Eleonore, son futur mari.

« Ils savent qu'il faudra tuer, ils savent, c'est un fait acquis, une certitude, une vérité, la raison même, il faut tuer à la guerre, sinon quoi d'autre ? Ils ont enfoncé des lames dans le cou des porcs et dans l'orbite des lapins. Ils ont tiré la biche, le sanglier. Ils ont noyé les chiots et égorgé le mouton. Ils ont piégé le renard, empoisonné les rats, ils ont décapité l'oie, le canard, la poule. Ils ont vu tuer depuis leur naissance. Ils ont regardé les pères et les mères ôter la vie aux bêtes. Ils ont appris les gestes, ils les ont reproduits. Ils ont tué à leur tour le lièvre, le coq, la vache, le goret, le pigeon. Ils ont fait couler le sang, l'ont parfois bu. Ils en connaissent l'odeur et le goût. Mais un Boche ? Comment ça se tue un Boche ? Et est-ce que ça ne fera pas d'eux des assassins bien que ce soit la guerre ? »

Plus tard, dans les années 80, la petite ferme est devenue une exploitation gigantesque et la famille exclusivement tournée vers la porcherie. Cette porcherie qui imprègne autant les idées et les caractères que son odeur s'incruste dans les peaux, les vêtements et même les habitations. Une exploitation dirigée par Joël et Serge les petit-fils d'Eleonore, formatés à la dure par leur père Henri, lui-même héritier de la violence de Marcel et de ses fantômes glanés à la guerre. L'un tient par la boisson, l'autre par l'emprise morale que son père exerce encore sur lui. Et le drame se profile, peu à peu, parce que rien, forcément ne peut sortir de bien d'un tel comportement... "La porcherie comme berceau de leur barbarie et de celle du monde".

"Ils ont modelé les porcs selon leur bon vouloir, ils ont usiné des bêtes débiles, à la croissance extraordinaire, aux carcasses monstrueuses, ne produisant presque plus de graisse mais du muscle. Ils ont fabriqué des êtres énormes et fragiles à la fois, et qui n'ont même pas de vie sinon les cent quatre-vingt-deux jours passés à végéter dans la pénombre de la porcherie, un coeur et des poumons dans le seul but de battre et d'oxygéner leur sang afin de produire toujours plus de viande maigre propre à la consommation."

Bien sûr, après une telle lecture, impossible de regarder une tranche de jambon comme avant. Mais réduire ce livre à une diatribe contre l'élevage intensif serait dommage. C'est une véritable oeuvre littéraire, qui prend le temps d'observer et de parler de la vie, par l'intermédiaire du regard des enfants (le jeune Jérôme prend le relais dans la seconde moitié du livre et déambule sur ces mêmes terres qui accueillaient les promenades de la petite Eleonore, son arrière-grand-mère). Aucun temps mort malgré cette unité de lieu. Et si parfois le récit nous prend aux tripes, il reste étrangement beau.

Une écriture charnelle, belle, forte, qui fait jaillir les images (terriblement crues), un style magnifique. Ce livre ne ressemble à aucun autre, vraiment, il faut le lire.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Quelle écriture magnifique, ample, puissante, à la fois lyrique et crue, violente et sensuelle : franchement, je n'en reviens pas ! Et pourtant, j'en lis des livres, qui me plaisent d'ailleurs, souvent beaucoup même, qui sont correctement écrits voire bien écrits mais qui en aucun cas n'atteignent cette perfection formelle. Les premières pages m'ont soufflée : je les ai lues et relues. Ce sont des tableaux d'une beauté indescriptible : que ce soit pour évoquer un banc posé devant la maison ou un coin de table sur lequel se reflète la faible lumière du jour ou encore un vol d'oiseau sur un champ nu. C'est superbe, on lit les derniers mots du paragraphe en exultant, tellement on touche à la perfection. La description minutieuse, le souci du détail font de ce roman un travail d'orfèvre. Magique !
Je tenais à commencer par ce qui pour moi définit une oeuvre littéraire : l'écriture. Peu importe le sujet finalement. Mais ne vous impatientez pas, nous y voilà !
Jean-Baptiste del Amo retrace l'histoire d'une exploitation agricole du Gers, de 1898 à 1981, et la transformation au fil du temps de la ferme familiale en un élevage porcin industriel.
Oui, ce qui nous est décrit dans cette « fresque familiale et porcine » est dur, âpre, parfois insoutenable, oui certaines scènes sont crues parce qu'elles disent le quotidien épuisant, harassant des paysans, « vieillards en sursis à quarante ans, corps abîmés, congénitaux, distendus par les couches, goitreux, amputés par les lames, calcinés par le soleil. Aucun d'eux ne peut traverser la vie sans y sacrifier un membre, un oeil, un fils ou une épouse, un morceau de chair », parce qu'elles décrivent le rapport ambigu des hommes et des animaux à travers l'évocation d'un élevage industriel qui réduit la bête à un simple produit de consommation, niant sa douleur et refusant à l'animal son statut d'être vivant et sensible. Bien sûr, certaines scènes sont pénibles, source de malaise mais à lire les critiques que j'ai parcourues, j'avoue que je m'attendais à bien pire ! Car à mon avis, ne soyons pas naïfs, l'impensable réalité, celle que l'on soustrait à notre vue, va bien au-delà de ce que l'on imagine…
C'est un couple taiseux que nous découvrons en 1898 : lui, c'est l'homme. La femme est nommée la génitrice, c'est dire le rapport qu'elle entretient avec sa fille Éléonore. Lui s'assoit le soir après le travail sur son banc de bois devant la maison et attend la nuit. « Il estime que les choses doivent rester telles qu'il les a connues, le plus longtemps possible, telles que d'autres avant lui ont estimé bon qu'elles soient, ou telles que l'usage en a fait ce qu'elles sont. »
Il est usé par son travail aux champs et à la ferme. Son corps rongé par la maladie est prêt pour le tombeau. Il crache du sang. Elle, la bigote, prie, se nourrit d'hosties et élève sa fille à la trique, regrettant qu'elle ne soit pas un garçon, c'eût été plus utile. Alors la petite « bat le linge, baratte le beurre et puise de l'eau au puits ». Ils élèvent deux porcs. le père sentant sa mort prochaine va chercher un neveu pour s'occuper de la ferme : Marcel accomplira le travail sans relâche jusqu'à l'appel sous les drapeaux.
Certaines scènes extraordinaires sont de véritables morceaux d'anthologie : l'enterrement du père par exemple. Alors que l'on s'apprête à descendre le cercueil dans la fosse, on s'aperçoit que dans le fond, s'est logé un crapaud. Il faut sortir de là l'animal diabolique et donc quelqu'un doit descendre. Scène à la fois tragique et drôle. La religion se mêle à la superstition et le tout mène parfois à la folie.
Je repense à une autre scène terrible, celle avec le colporteur vêtu d'un costume trois pièces qui profite de l'éloignement de la mère pour sortir sa verge sous l'oeil horrifié de la gamine. Pauvre humanité incapable de maîtriser ses désirs.
Puis, il y aura la guerre de 14. Les femmes vivront dans un monde sans hommes. Ne restent au village que « les vieux, les adolescents, le bossu, l'aveugle de naissance, l'idiot ». Elles devront accomplir le travail des hommes. « Leurs rêves voient revenir les hommes de la guerre, mais rien n'est alors pareil et avec eux semble s'en être allé un monde archaïque. »
Ces pages sur la guerre, absurde boucherie, sont terribles, glaçantes : hommes et bêtes encore une fois unis dans une souffrance sans nom.
Éléonore grandira et les nouvelles générations suivront, toujours plus coupées du monde, esclaves de la ferme et des bêtes, soumises à un travail sans relâche, souffrant un martyre quotidien, incapables de fuir ce destin qui les lie au lieu où elles sont nées. Chaque jour, il leur faut laver la porcherie : repousser inlassablement les déjections animales, tous les matins, inlassablement, retrouver « la même abondance innommable qui se jette à leurs pieds, englue leurs bottes, éclabousse leurs mains et leurs faces nues, se déverse dans leurs rêves ; flots de merde qui les emportent, les noient, jaillissent de leurs estomacs, de leurs culs ou de leurs sexes, se vomissent ou s'extraient indifféremment par tous les orifices, comme animés d'une vie propre, dont le seul but tend à se répandre sur eux et hors d'eux, remplissant leurs nuits sous des coulées de boue, et les éveillent brusquement, accrochés aux draps, se retenant de quelque chute dans une fosse à lisier sans fond, le goût familier dans la gorge, le front trempé de sueur et le cri fantôme des porcs à l'oreille. »
Tous les jours le même cauchemar, la même merde, la même misère.
Règne animal est une oeuvre à vif qui donne à voir, à sentir, à toucher : on glisse dans le sang, les excréments, le sperme, la morve, le crachat, on respire la sueur, l'urine, la pourriture et le purin. Les corps sont matière : ils jouissent, suent, saignent, souffrent, pourrissent. le texte nous plonge dans cet univers hallucinant de noirceur et de vie. Terrible expérience.
La ferme se développant, il faut tenir des comptes, noter sur des carnets, calculer, prévoir, faire des statistiques, des schémas. Pas de perte. Que du bénéfice. La productivité à tout prix. Et c'est là que ça dérape. Parce que personne ne s'y retrouve : ni les hommes, ni les bêtes qui vivent le même effroi, la même violence. Parce qu'il faut du rendement, on triche, on cache, on commet des crimes. On entasse les bêtes sur du plastique, on les sangle, on les engraisse. Elles meurent dans des enclos exigus, bétonnés et sans lumière, les pattes dans leur merde. Et ce que les bêtes vivent n'a pas de nom.
On ne tue pas que les bêtes, on tue aussi les hommes nourris aux bêtes : « Car tout, dans le monde clos et puant de la porcherie, n'est qu'une immense infection patiemment contenue et contrôlée par les hommes, jusqu'aux carcasses que l'abattoir régurgite dans les supermarchés, même lavées à l'eau de Javel et débitées en tranches roses puis emballées avec du cellophane sur des barquettes de polystyrène d'un blanc immaculé, et qui portent l'invisible souillure de la porcherie, d'infimes traces de merde, les germes et bactéries contre lesquels ils mènent un combat qu'ils savent pourtant perdu d'avance, avec leurs petites armes de guerre : jet à haute pression, Cresyl, désinfectant pour les truies, désinfectant pour les plaies, vermifuges, vaccin contre la grippe, vaccin contre la parvovirose, vaccin contre le syndrome dysgénésique et respiratoire porcin, vaccin contre le circovirus, injections de fer, injections d'antibiotiques, injections de vitamines, injections de minéraux, injections d'hormones de croissance, administration de compléments alimentaires, tout cela pour pallier leurs carences et leurs déficiences volontairement créées de la main de l'homme. »
Les hommes sont pris au piège, les bêtes crèvent et les hommes crèvent à leur tour de voir le spectacle terrible des bêtes crevées.
La porcherie devient le symbole terrible, l'insoutenable métaphore de la barbarie humaine, de la violence qui se perpétue de génération en génération, sans jamais être remise en cause, sauf peut-être par le petit dernier, Jérôme.
Les fermiers très tôt préviennent leurs gosses pour qu'ils ne se fassent aucune illusion : « Les choses sont comme ça, petit. La vie est comme ça ; un immense tombereau de merde qui n'en finit pas d'être déversé sur ta tête. Faudra bien t'y faire. » C'est dit.
Mais il faudra bien arrêter cette folie un jour, pour rester digne, pour que l'on puisse garder ne serait-ce qu'un semblant d'humanité.
Une oeuvre majeure dont l'écriture minutieuse, poétique, sensuelle et terriblement crue nous fait sentir dans toutes ses nuances, dans toute sa complexité, le rapport de l'homme au monde qui l'entoure : à la terre, à l'eau, aux plantes, aux bêtes, aux autres hommes, un rapport de violence et d'amour, de haine et de fascination, de terreur et de passion. Seule l'écriture d'un véritable écrivain pouvait traduire par des mots un tel entrelacs de sentiments et d'émotions.
La prose de Jean-Baptiste del Amo a atteint son but de façon magistrale ! Bravo !

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Chers lecteurs, chères lectrices, votre fidèle serviteur est heureux de vous retrouver ce jour, après une très longue abscence.
Tout d'abord, tout mes voeux à chacune et chacun d'entre vous, pour cette nouvelle année, qui file telle une fusée.
Merci à celles et ceux, bien rares, qui ont pris de mes nouvelles pendant mon abscence, cela fait plaisir.

De retour donc, pour discourir un peu, sur un texte qui à laissé votre serviteur pantois.
Il en faut, croyez Ie.
Votre serviteur avait de par Ie passé, déjà fâit connaissance avec Ia prose de M.Del Amo, il n'y a donc aucune surprise relativement à la crudité de ce texte içi présent.
Pour autant, il y a crudité et crudité.
Il y a celle qui est là pour choquer dans le simple but de provoquer un choc chez le lecteur, afin d'entretenir chez celui ci, un sentiment de stress, c'est la méthode usitée par les auteurs de thriller, qui vendent leur marchandise en pourvoyant des montées d'adrénaline, et en évitant absolument toute ouverture vers une reflexion par le lecteur sur la condition humaine, sur la condition animale, ect.
L'auteur de thrillers veut abattre de la besogne, veut vendre, aucun intérêt pour lui de développer un propos ouvrant vers une reflexion quelconque.

Et il y a la crudité qui est là pour interpeller, pour faire mal, pour pointer du doigt, pour mettre le lecteur devant un fâit, et susciter en lui une interrogation, voir un questionnement existentiel....

Il est certain que M.Del Amo, n'est pas dans la logique d'un auteur de thriller, de la quantité, il s'en moque ouvertement, ce qu'il cherche c'est la qualité, il cherche en quelque sorte, à éveiller les consciences, afin qu'une fois le texte achevé, le lecteur se découvre différent, se découvre une pensée autre sur des thématiques de societe, ect.

Force est de constater que dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, M.Del Amo à atteint son but.
Votre fidèle serviteur défie quiconque à vrâiment lu ce livre, de dire qu'il n'a pas changé de perception relativement à des aspects de la vie de tout les jours, en particulier par rapport à la nourriture carnée ...

Votre serviteur à lu ce livre dans un quasi état second, non pas qu'il fut sous l'effet de substances hallucinogènes, mais le fâit est que cette oeuvre est l'une des plus belles littérairement parlant, qu'il ai plus lire depuis bien longtemps.

La plume de M.Del Amo est imprégnée d'une poesie qui ne dis pas son nom, mais qui affleure en permanence ou quasiment.
Certes, la première partie du récit se prête bien davantage à cet aspect, de par sa configuration, sa quasi absence de dialogues, mais l'on ne peut que constater que la poesie est egalement présente par la suite, chez le personnage o combien passionant de Jérôme....

Ce petit Jérôme, peut être le personnage le plus captivant, attachant de ce récit, avec Eléonore....

Si l'on doit définir deux personnages centraux dans ces deux récits, ce sont ces deux là, qui voient le monde a leur maniere, en total décalage avec leur entourages respectifs....

La première partie est tout simplement superbe, rude, dure, méchante, mais emportée par la fougue d'une prose qui transcende le propos, qui projette le lecteur au coeur de cet univers où la parole est rare, où l'humain est rude, mais peut, comme le père, ou Marcel, faire preuve d'une humanité rare..

Car oui, cette premiere partie, c'est au fond, une plongée en apnée dans un monde d'une violence qui ne dis pas son nom, qui trouve sa source dans la bigoterie la plus extrême, et qui pourtant, au millieu de tout ce noir, voit surgir des éclairs de lumière ....

Avant que la folie humaine vienne tout broyer, et annihile tout espoir d'humanité....

Au fond, cette oeuvre, elle est proteiforme...

Et la seconde partie le confirme ...
Içi, plus de place pour la poesie, sauf avec Jérôme, ce garçon si singulier, quasi sauvage, mais qui malgré sa folie évidente, s'avère bien plus sain d'esprit au final que celles et ceux qui l'entourent...

Non pas que ce que fâit Jérôme ne soit pas grave, voir immoral, mais il y a en lui, la même lumière que l'on devine chez Eléonore, ces deux êtres qui sont projetés au coeur de la folie humaine, de la violence, et qui survivent comme ils peuvent ...

Cette seconde partie est terrifiante, car elle nous renvoie à nos comportements quotidiens, à ce que nous sommes nous êtres humains, soit disant supérieurs aux autres créatures peuplants cette planète...

Cette industrialisation qui conduit à la plus abjecte des barbaries, que l'on nous vends comme tradition d'une certaine France rurale, M.Del Amo nous la renvoie en pleine face, nous mettant devant nos responsabilités, nous interpellant, nous obligeants à ouvrir les yeux sur ce que l'on se cache ....

Cette aliénation qui est conséquence de cette industrialisation agricole, conduisant l'homme à se perdre, dans l'alcool, dans le sexe, dans la violence, dans la folie ....

Au fond, M.Del Amo, ne fâit que dresser un constat d'une lucidité implacable, dévastatrice, sur ce qu'est ce monde où la consommation à pris le dessus sur toutes les valeurs qui doivent êtres celles de l'humain, et qu'il rejette au nom de cette satanée productivité, qui le conduit à la pire des barbaries.....

Oui, mes amis es, cette oeuvre est dure, cette oeuvre est atroce sous bîen des aspects, mais n'est ce pas l'essence même de la vraie littérature, que de choquer, de bouleverser, parfois de rendre malade ?
Telle est la question qu'au fond M.Del Amo nous pose mes amis es ....

Merci pour votre attention, portez vous bien, et lisez des livres .
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1898. le Père, La génitrice et Eléonore, âgée de 5 ans, cohabitent dans une petite ferme au fin fond de la campagne française. La culture de la terre, l'élevage des bêtes, seuls moyens de subsistance, rythment la vie des protagonistes. le Père s'épuise aux champs tandis que la génitrice use d'un droit de vie ou de mort sur tout être vivant dans les lieux. L'homme malade et fatigué, fait alors appel à un neveu, Marcel, pour le seconder puis très rapidement le remplacer. Eléonore, auprès de l'adolescent, grandit en harmonie avec la nature, les saisons, les animaux et vit, enfin, de rares et précieux moments d'insouciance. Mais la guerre éclate. Marcel part au front. Contre toute attente, Marcel en revient, métamorphosé par l'horreur et la violence. Eléonore et Marcel bâtissent, sur ces bases fragiles, une exploitation porcine devenant au fil des décennies, un élevage industriel.

Je découvre Jean-Baptiste del Amo avec Règne Animal qui m'a été judicieusement conseillé. La puissance de l'écriture est impressionnante. La richesse du vocabulaire, les descriptions détaillées, s'appuyant sur une documentation évidente, ainsi que l'équilibre narratif en trois parties, donnent au fond, riche et dense, une envergure exceptionnelle.
L'auteur aborde à travers ce 4ème roman de multiples problématiques, la principale étant celle du déséquilibre que l'Homme impose constamment à la nature. Il transpire du texte, le dégoût de del Amo pour une humanité qui s'obstine à détruire, dans une totale illusion du « toujours mieux, toujours plus », jusqu'à en oublier l'existence de ce processus formidable de création qu'est la Vie. Si la création et la destruction se déchirent dès les premières pages, c'est cette dernière qui sera à l'origine d'une certaine libération.
Les événements, terribles, sont relatés en usant d'un vocabulaire redondant, abusant de synonymes en cascade, renforçant l'aspect glauque des situations, ce qui permet d'en mesurer toute l'horreur.
Le roman est sombre, triste, noir.
La nausée saisit parfois.
Les pages laissent dégueuler toute l'ignominie dont est capable l'être humain envers la faune mais aussi envers lui-même.
Si Del Amo a choisi le cochon comme l'animal dominant de son histoire (jusqu'à ériger l'un deux en un personnage-clé en 2ème et 3ème parties), ce n'est pas pour rien. L'animal est réputé intelligent, pourvu d'une conscience de soi. Tout ce qui le caractérise et fait sa force à l'état sauvage est incompatible avec un élevage industriel. Les convois d'animaux, dans des conditions ignobles, évoqués lors du récit de la guerre 14-18, rappellent ceux de la déportation du conflit mondial suivant. le départ des porcs pour l'abattoir ne peut faire penser qu'aux conditions de l'extermination dans les chambres à gaz. C'est là la volonté de l'auteur de créer un perpétuel parallèle entre maltraitance animale et folie meurtrière humaine. Et ce sera le cas jusqu'à l'issue de l'histoire.

Et pourtant.
L'amour de Del Amo pour la Vie est présent partout. L'amour, la tendresse, l'indulgence, la compassion, la compréhension, la solidarité s'entendent à l'évocation de l'enfance et de l'adolescence des protagonistes. L'enfance, cette période où l'insouciance règne encore, où tout est encore possible, où l'Homme est capable du meilleur. A chaque page, l'animal, l'insecte, la fleur, la céréale, les éléments, investissent les lieux, flirtent avec la jeunesse, donnent à la vie tout son intérêt et sa force. L'amour s'exprime par une caresse sur la tête d'un chien, par la fidélité d'un oiseau pour un personnage, par le corps à corps d'un enfant et d'une couleuvre. Ces instants-là, poétiques, renforcent d'autant plus la noirceur du récit.

Du roman, émerge également la quête d'identité, thème prédominant dans l'oeuvre de l'auteur. Parce que ce roman, c'est aussi l'histoire de personnages au passé compliqué, marqués par les événements, rongés par les secrets, prisonniers de leur condition, écrasés par la filiation. Cette approche psychologique terriblement humaine, essentielle pour comprendre le déroulement des événements, fait de Règne Animal un roman magistral.

En conclusion, je ne voudrais pas réduire Règne Animal à une propagande pour des mouvements de lutte contre la maltraitance animale (Jean-Baptiste Del Amo ayant rejoint en mars 2016 la L214) parce qu'il est bien plus que cela. C'est une histoire d'Hommes, avec toute ses attentes, ses errances, ses contradictions, bref sa complexité face à une nature fragile qu'il nous faut impérativement laisser libre…au risque de nous perdre.
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Je lis beaucoup, beaucoup de romans superbes, mais je suis rarement touchée par un livre comme je l'ai été avec Règne animal.
Il me semble qu'on ne peut pas sortir indemne après la lecture d'un tel livre ! Je ne mangerai plus une côte de porc ou une tranche de jambon sans penser à ce bouquin ! Mais ça ne s'arrête pas là, l'écriture est dense, riche et nous étreint tout au long de ce roman qui couvre une période de la vie d'une famille paysanne de 1898 à nos jours et si la vie a bien évolué, il n'est pas sûr que l'homme soit plus heureux et les animaux non plus.
La vie au début du XXe siècle est décrite de telle manière qu'il nous semble être dans cette masure et partager la vie de la petite Éléonore que nous allons continuer à accompagner pendant la guerre de 1914 – 1918, guerre que l'auteur va dépeindre de manière exceptionnelle avec le rôle des femmes et le retour de quelques rescapés de l'horreur, horreur qu'ils ramènent avec eux.
Enfin, dans la seconde et la troisième partie, nous retrouvons Éléonore et sa descendance dans cette nouvelle ferme et surtout ce nouveau bâtiment tout neuf construit pour l'élevage des cochons. Cette porcherie va devenir quasiment le lieu de vie de ces agriculteurs. Un film, des images, seraient moins parlants que ces magnifiques lignes nous décrivant l'enfer dans lequel vivent ces animaux, ces hommes et ces femmes. Seul Jérôme semble épargné en vivant dans son monde à lui. Beaucoup de philosophie dans ce roman.
Pourquoi ce livre n'a-t-il pas figuré sur la liste des goncourables ? Il le méritait certainement. Aucun prix, rien ! Dérangerait-il trop nos consciences ?
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Pour son quatrième roman, Jean-Baptiste del Amo a frappé très fort et sûrement dérangé beaucoup de consciences car, contrairement, à ses ouvrages précédents qui avaient été salués par la critique, Règne animal n'avait jamais été cité pour une récompense quelconque… jusqu'à ce que le Prix du Livre Inter lui soit attribué car ce livre est remarquablement écrit avec un souci du détail digne des tableaux de Brueghel.

Toute l'action se déroule dans une ferme, près du village fictif de Puy-Larroque, au coeur du Gers. le XIXe siècle se termine dans cette « campagne hostile, terre rétive qui finira bien par avoir leur peau. » le père et la mère, nommée la génitrice avant de devenir la veuve, élèvent des cochons, plus quelques vaches et une jument pour les labours. Après plusieurs fausses couches, Éléonore est venue au monde. Elle tente de faire sa place, mène et garde les porcs dans la chênaie. le père étant malade, le cousin Marcel vient vivre chez eux. Il va avoir 19 ans.
Au fil des pages, nous sommes plongés dans le quotidien de cette ferme et les diverses tâches accomplies sont décrites avec une précision remarquable. le cimetière du village est important et revient souvent, semblant animé d'une vie souterraine.
Hélas, l'été 1914 arrive. Les femmes ont fait la grande lessive, les hommes commencent à faucher. « le jour de sa communion solennelle, Éléonore fait en secret le voeu de bannir tout sentiment, toute inclinaison religieuse. » Il faut dire que le comportement du Père Antoine, curé du village, n'est pas favorable à cela. La vie des paysans est rude : « Aucun d'eux ne peut traverser la vie sans sacrifier un membre, un oeil, un fils ou une épouse, un morceau de chair… »
C'est la guerre ! Tous les hommes de 18 à 40 ans sont mobilisés mais qui fera les moissons ? « Mis à part ceux qui gardent le souvenir de 70, la guerre est une abstraction… et ils agitent leur main pour saluer la soeur, la mère, l'amante qui pleure sur la place de Puy-Larroque. » Alors, les femmes… « Elles apprennent à aiguiser la lame des faux, elles empruntent le chemin des champs, le manche des outils sur l'épaule, vêtues de leurs robes grises… » L'auteur réussit des pages magnifiques sur le rôle de celles qui ont tout assuré pendant l'absence des hommes… à lire absolument.
Les premiers avis de décès arrivent. Éléonore vit dans le souvenir de Marcel. « La guerre ravive la foi vacillante. » On réquisitionne le bétail et nous voici dans les trains puis à l'arrivée où quinze équipes de bouchers doivent fournir 2 000 kg de viande pour un régiment d'infanterie, une apocalypse aussi pour les animaux massacrés… Quelle description de la guerre avec Marcel en plein champ de bataille !
Quand le cauchemar est terminé, « la peur, la douleur et la honte ont saccagé le désir… » mais la vie doit continuer pour passer subitement à 1981, toujours dans la même ferme où Henri, le patriarche, avec Serge et Joël, ses deux fils, a monté une porcherie hors-sol grâce aux crédits de la Politique Agricole Commune… Quelle débauche de traitements pour pallier carences et déficiences volontairement créées par l'homme ! Les porcs n'ont plus de défenses immunitaires pour donner toujours plus de viande et le lisier envahit tout… Après avoir lu des pages aussi fantastiques où rien ne manque, odeurs comprises, peut-on encore se délecter de cette viande qui envahit les bacs des super et hypermarchés ?

Jusqu'au bout, Jean-Baptiste del Amo est passionnant sur les pas de ces paysans devenus exploitants agricoles ne respectant plus ces animaux élevés pour l'abattage alors qu'enfin « la Bête, le Règne animal, reprend sa Liberté, échappe aux hommes et à leur folie. »


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