« Je regarde mon corps et je me demande où cela a commencé. Quelle partie a d’abord été touchée. Engloutie. Caressée peut-être. Les caresses ne laissent pas de trace. Les baisers non plus. Seules les morsures des affamés cisaillent la chair. Je n’ai pas été mordu. Je n’ai pas été brûlé, ni coupé. C’est pire. Il ne reste rien. Aucune preuve. Mon corps n’est pas un témoin. Il est l’ennemi du mal qui m’a été fait. Une neige immaculée. Mon corps est l’acquittement du coupable.
Alors j’essaie de me souvenir des lèvres des femmes qui l’ont goûté plus tard. Mais elles aussi ont disparu. »
« Il faut du temps pour faire corps avec sa douleur ; prendre un jour le risque de l’aimer afin de ne pas mourir. »
…« c’est son cœur de mère qui finalement la consuma ; ce cœur millénaire qui irrigue les hommes et que les hommes ne peuvent s’empêcher d’assécher. »
J’ai marché un moment et puis je l’ai appelée. Je lui ai dit que mon père m’avait fait du mal. Elle le soupçonnait depuis longtemps. Car les amoureuses, comme les mères, pressentent toujours la pluie.
Le pardon est une fiction.
Un leurre qui dépouille encore davantage les victimes.
Elle m'avait préservé et je n'avais pas sauvé les miens.
Avoir honte c'est être son propre esclave.
Elle fut juste assassinée au mitan de son automne par un minuscule caillot de sang et je m' étais plus tard fait la réflexion que nous hébergions tous en nous notre propre assassin.
Je n’ai pas été mordu. Je n’ai pas été brûlé, ni coupé. C’est pire. Il ne reste rien. Aucune preuve. Mon corps n’est pas un témoin. Il est l’ennemi du mal qui m’a été fait. Une neige immaculée. Mon corps est l’acquittement du coupable.
J’ai souvent regardé l’avenue en contrebas en me demandant quelle sensation ce serait de voler avant de m’écraser –le voilà, mon rêve d’enfant qui souffrait.
Mon père est mort le matin même où j’ai fini d’écrire On ne voyait que le bonheur. Le 7 mai 2014.
Quand il l’a su, mon fils m’a dit Tu aurais dû faire un livre de deux mille pages, il aurait tenu plus longtemps.
À trente-cinq ans, j’étais cet homme de travers, tordu, vrillé ; un corps de Giacometti, une souffrance qui marche. On ne se refait pas anticipait, je l’ai compris depuis, ce qui un jour motiverait mon chemin d’écrivain. Présenter à l’adulte que je suis devenu l’enfant que je fus.