Je découvrais qu’écrire c’était se rencontrer. C’était redresser un corps de traviole. Pouvoir s’écraser sur le toit d’une Ford Anglia en bas, dans l’avenue, et ne pas mourir. Écrire c’était vivre et oublier – ce sont ceux qui n’écrivent pas qui se souviennent.
Le monde est fasciné non par l'élévation mais par la chute. Et il se fabrique ses héros pour les déboulonner.
Des poignées bâton de maréchal en cuivre que ma mère avait à cœur de toujours faire briller. La propreté dissimule le chagrin, disait elle.
Mon chagrin est épineux et ma mémoire estropiée. Je voudrais retrouver mes mots d’enfant pour me retrouver, mais je ne connais pas celui que je fus. Il a été tu.
Le déni est une façon de survivre. Douloureuse. Un mensonge à soi-même. Ma mère ne voulait pas risquer d'entrouvrir une porte. Laisser passer un rai de lumière. L'enfouissement de mon agression était une chance pour elle. Le silence maintenait la paix
Elle n'était pas malheureuse, elle était le malheur, ce poids qu'on ne peut porter, juste traîner derrière soi.
Sur les photos, je ne verrai plus jamais l’enfant qui rit, celui qui saute ; je ne verrai plus que l’autre, l’enfant mort, et n’aurai de cesse que de le retrouver. Pour le réparer.
Le principal dommage collatéral de ce qui a été pris à mon corps d’enfant est d’avoir fait de moi un adulte handicapé de l’amour – ce mot girouette.
Les mots ne guérissent pas. N'effacent pas. Ils tracent juste d'autres vies.
Car écrire, c'est parler une langue posthume. C'est se souvenir de l'oubli et se traduire en verbe. Écrire c'est se jeter sans avoir vu le fond, écouter se briser ses mots comme des os; prendre le risque de mourir mais aussi celui de vivre.