Un petit garçon de sept ans, Edouard, écrit quatre rimes pauvres devant ses proches :
Maman t'es pas du Zan.
Papa
Tu fais des grands pas.
Mamie
T'es douce comme de la mie.
Papy
Tout le monde fait pipi.
C'est si charmant pour ses parents. Les compliments fusent. Les grands-parents applaudissent. Pour eux, c'est sûr, le petit à un don et doit le cultiver. C'est un génie, un
Rimbaud en herbe. En quelques rimes, rapidement, il est affublé du nom ô combien précieux de «
l'écrivain de la famille ». Sa famille sourit et voit en lui l'espoir d'une vie meilleure. L'écriture endosse le rôle de guérisseur, en atténuant la souffrance de ses proches maltraités par la vie.
Alors Edouard en grandissant continuera à écrire, cherchant toujours les mots. Certains s'usent à force d'être employés, comme il le découvre à neuf ans. D'autres se révèlent être cruels. Les mots sont inutiles aussi parfois comme lorsque ses parents l'envoient en pension : « mes mots n'y purent rien. Ni les gros, ni les petits. Ni les colériques, les sucrés, les mielleux et les fielleux ».
Pour Edouard, la pression est si forte que ceci sonne chez lui le début des ennuis. En grandissant, partout où il ira, avec tous les interlocuteurs qu'il rencontrera, il cherchera les mots, les mots pour parler mais aussi pour se taire, les mots dans les mots et aussi derrière les silences. Pour lui, maintenant, les mots sont devenus sa raison de vivre et ne plus les trouver, c'est perdre « l'envie de vivre ».
Plus grand, il devient comptable. Il n'aligne plus les mots. Il aligne les chiffres. Toutefois, les mots continuent de l'obséder. Lorsqu'il rencontre une femme qui croit en son pouvoir d'écrivain et remet les mots à l'ordre du jour, il abandonne sa carrière de comptable.
Edouard continue donc à écrire pour retrouver le bonheur qu'il a découvert chez tous ses proches lorsqu'il avait sept ans, pour conserver l'admiration des siens puis pour guérir lui aussi de cette souffrance qu'il tente d'apaiser mais qui surgit toujours plus fortement du fond de ses entrailles. Il tente donc à travers les mots de se délivrer de cette prison intérieure qu'il ressent chaque jour un peu plus. Même si « les rêves des autres nous damnent » comme il l'écrit, les mots lui apporteront finalement le changement qu'il souhaite, lui faisant prendre conscience que les écrits qui procurent amour, fortune et admiration ne se trouvent pas dans les romans.
Difficile pour moi de résumer ce livre qui décrit le pouvoir de choisir ou de vivre en se laissant vivre, qui illustre ce que sont les responsabilités : « Ton père sourit Edouard, il dit que tu grandis, que tu te décides à décider, que c'est bien. Attends, je te le passe. » Ce livre explique avec élégance et humour, avec légèreté et gravité les destins croisés d'une famille qui nous fait rire ou pleurer. On finit par se demander s'il faut rire ou pleurer tant l'émotion est là et le maniement du rythme bien entrelacé entre douceur et dureté.
Terrible et magnifique. Un livre bouleversant. Une réflexion sur les mots. Un hymne à l'écriture. Délicat et subtil. A lire avec modération, petit-à-petit. A pleurer. A rire. Attendrissant. Audacieux. Intime. Sincère. Emouvant. Trop court. J'ai tellement aimé que les mots me manquent…. Ah si, un seul mot me suffit : MERCI
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