Journaliste et documentariste,
Ixchel Delaporte écrit des ouvrages à partir d'observations sur le terrain, en immersion durant plusieurs semaines. Elle a notamment étudié les conditions de travail des plus précaires dans le vignoble bordelais (
Les Raisins de la misère), celles des auxiliaires de vie (Dames de compagnie), et le fonctionnement d'un internat/foyer catholique intégriste pour jeunes (
Les enfants martyrs de Riaumont).
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Ici, l'auteure s'intéresse aux 'fous' - je déteste ce mot - de Cadillac, petite commune de Gironde où se trouve un hôpital psychiatrique depuis la fin du 18e siècle. Les patients y sont internés, certains ont des autorisations de sortie, et il existe des petits logements pour ceux qui semblent pouvoir redevenir autonomes à l'issue d'un séjour plus ou moins long. Ils font donc partie du paysage, de la population locale.
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Ixchel Delaporte est allée des « deux côtés » : elle a rencontré beaucoup de patients, la plupart se sont sentis en confiance et se sont livrés à elle ; elle a également échangé avec des soignants (infirmiers, psychologues, psychiatres) plus ou moins réceptifs, certains franchement hostiles. Elle a pu visiter différents 'pavillons' mais n'a pas été autorisée à tout voir en UMD (Unité pour Malades Difficiles, un service très fermé/sécurisé pour les personnes violentes, dangereuses pour elles-mêmes et/ou l'entourage).
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Ce documentaire est aussi passionnant que douloureux. Il me semble que l'auteur n'oublie rien : manque de moyens (pour la santé en général, et le domaine psy en particulier), dépression, psychose, la drogue & l'alcool qui les accompagnent souvent, honte, camisole chimique, hébétude, rémissions, rechutes, maltraitance et humiliation, peur de la folie, enfance difficile & hérédité, enfermement, solitude, ergothérapie apaisante ou infantilisante... et tant de questionnements du patient sur lui-même : POURQUOI ?
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Elle n'oublie pas sa propre position (la nôtre, à tous) par rapport à la maladie mentale :
« [Elle] est si près de chacun de nous, quand elle n'est pas en nous. Elle fait si peur qu'elle est indicible. »
Et cet aveu, cette sensibilité rendent cet ouvrage d'autant plus émouvant.
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Ce texte m'a fait penser à la BD de
Lisa Mandel '
HP, Tome 1 : L'asile d'aliénés : de 1968 à 1973 souvenirs d'infirmiers'... entre autres souvenirs plus intimes, donc plus douloureux : « On ne parle pas de sa grand-mère morte internée dans un asile. On ne parle pas du fils qui s'est suicidé par mélancolie, bipolarité ou dépression. On ne parle pas du cousin interné à l'hôpital psychiatrique pour violences. On ne parle pas. »
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Fille du philosophe-épistémologue
François Delaporte, l'auteure enrichit ses observations de réflexions issues de ses lectures, parfois conseillées par son père (ici, notamment, '
Le Normal et le Pathologique', de
Georges Canguilhem).
J'ai aimé les termes choisis pour présenter la maladie mentale comme un parasite, un corps étranger indésirable dont on ne sait comment se débarrasser : on est 'habité' ; le corps 'abrite', 'héberge'...
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Bravo et merci, Madame Delaporte, pour cet ouvrage à mettre entre toutes les mains.
J'ai également apprécié d'y faire la connaissance du poète
Thierry Metz (qui fut interné à Cadillac), et du groupe de rock bordelais Strychnine.
► Taper sur YT : Strychnine Alcool - ou Strychnine Lache - ou Strychnine Animal