Michèle, Lulu, Vève, Robert & Albert ont commencé leur carrière d'infirmiers psychiatriques à la fin des années 60. Les deux années d'études préalables étaient alors rémunérées, le poste était assuré.*
Lisa Mandel a recueilli leurs témoignages sur leurs débuts dans un HP marseillais (1968-1973).
Ces cinq infirmiers ont beau préciser en introduction qu'il ne s'agit que de « visions très personnelles et subjectives », tout ce qui relève du factuel et de l'observation fait froid dans le dos : dortoirs de 80 lits, pas de bassins ni de couches pour les grabataires incontinents changés une seule fois par jour, douches collectives au jet, patients (on disait 'fous') incontrôlables attachés à leur lit ou à un radiateur, thérapies extrêmes (insulinothérapie, cure de sommeil, abcès de fixation, électrochocs...).
Tout cela, c'était avant la généralisation des neuroleptiques.
Si on a connu des gens d'un côté ou de l'autre de la barrière ψ, ou entre les deux (la famille de quelqu'un en soin, tiraillée entre le discours médical et la souffrance du proche interné), on se dira que les conditions sont plus douces aujourd'hui, certes, mais qu'il reste du chemin à faire dans de nombreuses structures. Il y a encore des soignants (infirmiers, psychologues, psychiatres) méprisants, froids, aux méthodes militaires - j'allais dire 'vétérinaires', mais certains vétos sont respectueux, à l'écoute et très doux...
Dans un second opus, Lisa Mandel recueille des témoignages sur les années 1974-1982 - « période clé pour la psychiatrie qui sort de ses archaïsmes pour aller vers de nouvelles pratiques, [...] période de libération morale, qui touche aussi le monde médical. »
Je vais bien sûr m'empresser de le lire.
■ un article intéressant sur l'histoire du métier d'infirmier psy : https://www.infirmiers.com/votre-carriere/votre-carriere/historique-de-la-profession-des-infirmiers-en-psychiatrie.html.
* J'en connais plus d'un que ça a motivé. Ce statut a disparu en 1992.
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« Une ville dans la ville » ou « l'Enfer déguisé en Paradis »
Si les gens savaient quelles atrocités, actes de torture, abus de pouvoir, étaient fait et sont fait de nos jours encore. Ils verraient que les « fous » ne sont pas ceux internés.
Ne sachant ni soigner, et encore moins guérir des patients « cobayes » ils les assomment grâce à des psychotropes les transformant ainsi en Zombie. Et ou avec certaines techniques « médicale » inhumaines.
Mais on laisse faire. Que ça soit les gens qui envoient leurs proches pensant qu'ils « guériront », que le milieu médical qui est là pour « exercer » son travail. Et tous se sentant « sains » car du « bon côté », loin de cet Enfer.
Ce qui est légal n'est pas moral.
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J'avais noté ce titre dans ma liste à lire il y a longtemps et ce que je découvre - avec l'actualité dans les EHPAD - fait froid dans le dos (même si ce premier volume traite d'avant les années 80). On pourrait lire cette bande dessinée comme des petits gags si ce n'étaient pas des anecdotes et témoignages d'un traitement déshumanisé et souvent dégradant des personnes humaines...
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[ fin des années 60 ]
Il y a des patients continuellement attachés. Comme cette malade très dangereuse qu'on ne détache jamais [de son lit]. D'autres sont attachés toute la journée au radiateur.
Il y en a qui sont tellement attachés qu'ils ont la peau tannée.
Comme Kiki, une patiente autiste. L'été, on l'attache au platane, l'hiver, au radiateur.
< BONG BONG BONG > [Kiki se frappe la tête contre le radiateur]
La première fois que tu vois ça, t'es hyper choqué. Et puis comme on peut pas faire autrement, on s'habitue. C'est ça qui est terrible.
Le grand truc des élèves infirmiers, c'est d'emmener Kiki se balader [en laisse] dans l'hôpital. On lui donne un sac en plastique avec des bouts de pain (sinon elle bouffe tout ce qu'elle trouve par terre), et c'est parti.
[ 1968 - 1973 ]
A cette époque, le critère de guérison ne se pose pas. Il s'agit de remplir un contrat avec la société : 'PROTÉGEZ-NOUS DES FOUS !'
Ok... On fait ce qu'on peut.
La réussite, c'est le patient qui arrive à vivre bien entre les murs, sans la velléité de retourner à l'extérieur. Parce que dehors, on ne sait pas ce qu'ils vont devenir... Il n'y a aucun suivi, aucune structure.
Le but de l'hôpital est donc de créer une harmonie, même dysfonctionnelle. Quand une personne rentre à l'hôpital, on ne se pose pas la question de savoir si elle va ressortir ou pas. Ce n'est pas dans l'air du temps.
FO (Force Ouvrière).
« Hé, petite ! Il faudra que tu prennes ta carte, hè ! »
FO a la main mise sur tous les services. Ici, les rapports hiérarchiques sont liés à l'appartenance à FO. Les surveillants en sont presque tous issus. Ils font ce qu'ils veulent et il n'y a aucun contre-pouvoir. Il faut savoir que le président du Conseil d'Administration de l'Assistance publique de Marseille, c'est le maire... Le maire, c'est Gaston Defferre, socialiste. Il soutient le syndicat.
Un peu d'histoire : Force Ouvrière est un syndicat proche du Parti Socialiste. Il est soutenu par la CIA en pleine guerre froide pour lutter contre la CGT, communiste. Cependant, FO et la CGT ont des racines communes. Le nom complet de FO est d'ailleurs CGT-FO.
Lulu :
« On rend les coups, c’est presque la consigne… Parce que les malades ne doivent pas penser qu’ils peuvent lever la main sur un infirmier. On frappe aussi parce qu’on a eu peur… Le malade se fait mettre une tête comme ça…ensuite il est puni, il reste enfermé pendant quinze jours dans une cellule… jusqu’à ce que les traces des coups s’effacent… (Le patient est nu sur son lit plein d'ecchymoses).
Même les médecins n’ont pas le droit de passer le voir. Frapper un infirmier c’est la pire chose qui peut arriver à un patient. Le type qui frappe un infirmier est marqué pour ainsi dire à vie dans l’hôpital. On lui balance des doses plus fortes de neuroleptiques. On le regarde de travers. C’est ça le pouvoir infirmier. »
Chaude intimité :
Michèle : « Je travaille au service des femmes… dans un dortoir de quatre-vingt lits. Certaines patientes sont grabataires. On n’a pas de bassin, pas de couches… alors les malades restent dans leur merde et leur pisse. On les change une fois par jour. On a du Dakin, du savon antiseptique, un petit morceau de coton et basta. Et un seul drap par patient. »
Vève : « Pour les plus valides, c’est différent. On les douche. Les tuyauteries sont en piteux état… Alors les douches se font souvent à l’eau froide, hiver comme été. La première fois que je suis obligée de faire ça, ça me révolte. Si tu veux savoir à quoi ressemblent les salles de douche visuellement… tu penses à Auschwitz. »