Citations sur Sundborn, ou Les jours de lumière (30)
- Nous ne sommes pas nés seulement pour rester pudiques!
ce courage qu'ont les Scandinaves pour arrêter le temps, pour se regarder vivre l'instant, n'a rien d'un conformisme. Chez moi... D'abord il y avait peu de fêtes. Mais quand c'était la fête, les soirées se passaient sans que jamais personne n'ait su dire aux autres qu'il les aimait. Appelles-tu cela de la pudeur ? Alors, j'aimerais bien ne plus jamais être pudique. La vie passe, on se perd. Mais quand on se rassemble, surtout pas de sentimentalisme. On fait assaut d'esprit, d'ironie, on se dispute pour une pièce de théâtre ou pour de la politique. Voilà comment les choses se passent en France. Je sais trop l'amertume qu'il en reste, à la fin d'une vie. Aimer les gens quand il n'est pas trop tard, au prix même d'un peu d'emphase... Risquer ce ridicule est beau, Julia. C'est chaud et c'est vivant. Nous ne sommes pas nés seulement pour demeurer pudiques...
Nous sommes tous en quête de lumière.Mais cette lumière passe sur les choses, les êtres que nous aimons. Ce que tu appelles un peu dédaigneusement le bonheur, c'est cette fragilité de la lumière qui s' arrête une seconde sur notre petit spectacle. Pour moi, la beauté du décor vient aussi du talent des personnages..
-Oui, reprit Soren en écho. La vie n'est pas si méprisable. On n'a encore rien trouvé de mieux!
La mort, l'absence;pour moi ces mots n'avaient pas perdu leur sens, mais gagné au contraire une dimension différente. Doué d'un étrange talent pour vivre le présent, je regardais mes amis peintres détacher l'instant, le poser sur la toile. Chez moi, l'instant demeurait virtuel, inassouvi; mais je ne le buvais pas vraiment.
La plupart des embarcations avaient été tirées sur le sable, et les enfants y déposaient leurs vêtements pour aller se baigner. Il avait ébauché une scène joyeuse où l'on voyait les enfants nus se risquer frileusement dans l'eau.Puis il avait différé ce premier objet pour s'intéresser à une petite fille, orteils à nus, en robe bleu marine et chapeau noir.
-Tu ne vas pas te baigner ? demanda-t-il en s'approchant, le pinceau à la main.
-J'aime pas l'eau, répondit la fillette avec une moue boudeuse, sans le regarder.
Des moments pour se taire ensemble aussi, avec l’alibi de la dégustation pour éviter l’impudeur des phrases utiles et la lourdeur des phrases inutiles. La vie à Gretz était sans cesse ponctuée de ces petites bulles de temps pur où chacun près des autres s’évadait solitaire.
La poussière presque blanche de la cour vole au moindre souffle, danse et blondit dans les rais de soleil. Devant moi le pot à eau, un verre de sirop d'orgeat. Cette odeur d'amande douce à la première gorgée, cette sensation de boire le calme de l'après-midi tout entier, la paix des jardins ensilencés, le village enclos dans ses rites minuscules.
Faut il avoir trop bu pour saluer l'instant, bousculer la pudeur des silences et dire la chaleur que chacun sent couler en lui? Faut il avoir trop bu pour nommer le bonheur quand il passe?
- Mais que fais-tu de ta vie, Julia ? intervint Anna en abandonnant son petit verre de liqueur. Nous sommes tous en quête de lumière. Mais cette lumière passe sur les choses, les êtres que nous aimons. Ce que tu appelles un peu dédaigneusement le bonheur, cette fragilité de la lumière qui s'arrête une seconde sur notre petit spectacle. Pour moi, la beauté du décor vient aussi du talent des personnages...
La lettre de Karin avec sa petite écriture ronde vient me dire que je porte un monde, et qu’il ne m’appartient pas. Je pense à sa tristesse, à la maison orange de Sundborn. Je pense à Soren Krøyer, je pense à Carl Larsson. L’homme de Skagen et celui de Sundborn. Celui qui voulait le bonheur, celui qui croyait au bonheur. J’entends leurs rires dans la barque, puis ils se relèvent, l’un sombre, l’autre blanc. Et je pense à Julia.