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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est la norme d'être affecté, tout le monde l'est.
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Ce tome contient un témoignage d'une artiste ayant découvert tardivement son homosexualité, une bande dessinée qui se suffit à elle-même. Sa parution date de 2023. Elle a été réalisée par Julie Delporte, pour le texte et les dessins. Il s'agit d'un texte illustré, plutôt que d'une bande dessinée. Il comprend cent-quarante-sept pages de récit. Il se termine avec quatre pages de notes revenant sur les sources d'inspiration de certains dessins.

L'autrice se fait la réflexion suivante : ce qui ne l'a pas tuée ne l'a pas rendue plus forte. le temps n'a pas guéri toutes ses blessures. Mais elle peut constater que, malgré tout, elle est encore vivante. Sachet de sucre avec une cuillère : la première fois qu'elle a fait l'amour avec une femme, elle n'avait pour références que des dessins et des films réalisés par des hommes. Deux femmes nues allongées et enlacées dans un lit : pour remédier à cette situation, elle a regardé deux ou trois fois de suite la scène finale de Je tu il elle, de Chantal Akerman. Deux femmes nues allongées et enlacées dans un lit : elle était fière de sa nouvelle orientation, mais elle mourait de honte qu'elle lui arrive si tard. Elle avait peur d'être une femme hétérosexuelle qui expérimente et s'enfuit aussitôt. Les lesbiennes autour d'elle semblaient se plaindre d'un tel scénario. Les deux femmes se caressent tendrement : elle a attendu longtemps avant de se lancer. Il y avait eu une première fois, maladroite, en partie parce qu'elle avait trop bu. Puis une deuxième où tout était joyeux et léger. de petite taille, d'apparence douce mais masculine, Anna ne ressemblait à aucune des lesbiennes fantasmées par les hommes. Elle disait que Julie avait l'air plutôt gay, ce qui faisait rire cette dernière. Ce jour-là, Julie était presque étonnée de se sentir normale. C'était toute sa vie d'avant qui était anormale.

Des roches avec des veines de couleur : son amie Kate lui a demandé si la pénétration n'allait pas lui manquer. Julie a répondu que c'était une affaire de reproduction, non ? Luc a pensé qu'elle était bisexuelle, mais à vrai dire, elle était épuisée d'aimer les hommes. Elle voulait qu'ils soient amis rien de plus. Guillaume lui a demandé si elle avait toujours été comme ça, ou si elle avait changé. C'était une très bonne question. Presque tous les témoignages de lesbiennes tardives qu'elle avait pu entendre se résumaient par : Un jour, je suis tombée amoureuse d'une femme. Est-ce une manière de simplifier ? Un jour, Julie est tombée amoureuse d'une femme, mais son histoire ne commence pas là. Elle ne commence pas non plus avec l'apparition d'un désir physique. Les papillons dans le ventre étaient là bien avant qu'elle désire une femme. Images d'insecte dans un bocal : Elle s'en souvient, à douze ans, avec son cousin. Ils la paralysent et l'empêchent de quitter la pièce. Puis à quatorze ans, quand un garçon plus vieux qui lui répugne se colle à elle sous la table, faisant réagir son corps. C'est ce qu'on appelle un fantasme. Elle a mis du temps à comprendre le geste de Jeanne Dielman.

En découvrant les premières pages, le lecteur se rend compte de la nature de l'ouvrage. Il s'agit de l'histoire personnelle de l'autrice qui a pris conscience de son homosexualité à trente-cinq ans et qui évoque son entrée dans le pays qu'on appelle Gouinistan, avec des questions sur ses relations sexuelles avec les hommes, son caractère, sa façon de se comporter, ce qui relève de sa nature intrinsèque et la part d'elle qui a été modelée par la société, soit de manière explicite (les modèles de féminité), soit ce qui est implicite ou même inexistant (l'absence de représentation de femmes lesbiennes à son époque). Cela se présente sous la forme d'une ou deux phrases par double page, avec une écriture cursive manuscrite très agréable à l'oeil. En vis-à-vis dans cette double page se trouve un dessin, parfois sur la page de gauche, parfois sur celle de droite, de temps à autre sous le texte sur la même page. Pour le chapitre introductif, il s'agit de huit dessins à l'encre de Chine inspirés du film Je tu il elle (1974) réalisé par Chantal Akerman (1950-2015, réalisatrice). Dans les notes en fin de volume, Delporte précise que la même année, Barbara Hammer (1939-1919) réalisait Dyketactics, un court métrage mettant lui aussi en scène un érotisme lesbien, mais de manière plus expérimentale. Avant cette date, elle ne connait pas de scène érotique lesbienne tournée par une réalisatrice lesbienne (ni même tourné par une femme hétérosexuelle) qui ait été retenue dans l'histoire du cinéma.

De fait, le lecteur s'attache plus au texte qu'aux dessins, car l'autrice raconte son histoire, et les dessins viennent au mieux présenter une mise en situation de la relation lesbienne, pour le chapitre introductif, ou souvent accoler des représentations de la nature (roches, coquillages, fleurs, végétaux) et de rares fois un objet manufacturé ou une personne. le texte est rédigé dans un français très accessible, avec des phrases courtes, sans vocabulaire spécialisé ou complexe, très agréable à lire avec sa graphie. La construction de ce témoignage se révèle simple et naturelle. Julie expose sa son parcours de vie sous l'angle de sa préférence sexuelle. Sa première expérience homosexuelle l'a amenée à s'interroger sur la normalité imprégnant la société. Une fois sa prise de conscience opérée, elle s'est demandé si elle avait toujours été comme ça, c'est-à-dire homosexuelle. Elle est passée par différentes phases : la culpabilité de ne pas avoir d'activité sexuelle, comment érotiser le corps d'une femme (et sa vulve en particulier), le fait que personne ne l'a jamais forcée mais qu'elle se forçait elle-même pour se conformer, les contraintes sociales à l'hétérosexualité et l'absence d'images positives de lesbiennes, les contraintes de la perfection des normes sociales imposées à des êtres humains qui sont intrinsèquement imparfaits (deux états irréconciliables), la question de Judith Butler (Comment vivre une vie bonne dans un monde mauvais ?), et un regard en arrière sur ses relations avec les femmes avant de se reconnaître lesbienne. L'autrice se montre honnête, réfléchie, dans une réflexion sans acrimonie, sans volonté de vengeance ou d'accusations, sans militantisme ou agressivité, avec un ou deux points d'amertume, ce qui rend la lecture aussi intéressante qu'agréable.

Dans le fil des pages, le lecteur jette un coup d'oeil aux dessins : agréables à l'oeil, réalisés avec des crayons de couleur, parfois pastel, avec des traits de contour en couleur quand il y en a. Une fois passée l'introduction, il n'est pas toujours très sûr de ce qu'il est en train de regarder. de temps à autre, un dessin apparaît en relation direct avec le texte : un portrait de Monique Wittig en vis-à-vis d'une citation d'elle, des dessins de robe et de tissu quand Julie évoque ce qu'elle a fait de ses robes après avoir assumé sa nouvelle identité sexuelle, un facsimilé de Tofslan & Vifslan regardant leur pierre secrète en provenance d'une histoire des Moomins, de Tove Janssen (1914-2001), un appareil photographique argentique, la couverture du livre Peau (1999, À propos de sexe, de classe et de littérature) de Dorothy Allison (1949-), etc. Puis arrive la page quatre-vingt-huit dans laquelle l'autrice dit que cette forme est maintenant sa préférée, elle la voit partout, en parlant de la forme de la vulve. le lecteur comprend alors que chaque dessin porte en lui le regard sexualisé de l'artiste, une façon de regarder le monde en ayant à l'esprit le sexe féminin. Cette tournure d'esprit ne saute pas au visage du lecteur ; elle reste sous-jacente. Si son esprit fonctionne de manière plus cartésienne que poétique, il apprécie de pouvoir découvrir dans les notes, la nature de ce qui est représenté pour les dessins qui l'ont laissé perplexe : des roches photographiées sur la côte de l'île Verte dans le fleuve Saint-Laurent, des scènes du film Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) de Chantal Akerman, des agates tranchées, des algues et roches photographiées à Maria en Gaspésie, des fleurs du Jardin botanique de Montréal et un colibri venu les visiter, des lichens accrochés aux roches dans le parc régional du Poisson Blanc, l'érosion des falaises aux îles de la Madeleine, et plusieurs créatrices lesbiennes ou personnages dans des films.

La lectrice ou le lecteur ressent les émotions et les interrogations de Julie Delporte, avec son point de vue qu'elle expose sans l'imposer. Il effectue le constat des références culturelles féministes ou lesbiennes : Adrienne Rich (1929-2012), Chantal Akerman (1950-2015), Lauren Beerlant (1957-2021), Annie Ernaux (1940-), Tove Janssen (1914-2001), Monique Wittig (1935-2003), Courtney Barnett (1987-), Dorothy Allison (1949-), Adèle Haenel (1989-), Judith Butler (1956-), sans se sentir exclue ou exclu. Elle ou il ressent que ces interrogations prennent comme point de départ la prise de conscience (que l'autrice qualifie de tardive) d'être lesbienne, et qu'elles s'appliquent également à chaque être humain quelle que soit sa condition. La pression de se conformer aux injonctions et normes sociales explicites ou implicites, le syndrome de l'imposteur, le besoin de se sentir normal, l'impossibilité pour l'être humain d'être parfait, l'impulsion de faire plaisir pour éviter le rejet par l'autre, la façon inconsciente de considérer le monde avec un point de vue sexualisé, l'habitude de se forcer, la démarche de consoler l'enfant qu'on a été, etc. En page cent-vingt-sept, l'autrice déclare qu'elle a voulu être une lesbienne avant d'avoir du désir pour des femmes, une sorte d'essence qui précède l'existence, pour reprendre la formule de Jean-Paul Sartre (1905-1980).

Une lesbienne tardive s'interroge sur son parcours de vie, son orientation sexuelle, ses relations hétérosexuelles passées, les obstacles pour prendre conscience de ses préférences, la manière dont elle s'est forcée inconsciemment à être normale, en agrémentant chaque page d'un dessin sur la manière dont elle perçoit la nature, mais aussi les autrices ou créatrices qui lui ont permis de comprendre sa situation, son chemin. Outre le témoignage d'un cas particulier, il s'agit également d'un regard sur son environnement aussi bien naturel que mental. Un partage bienveillant d'expérience de vie.
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Un ouvrage aux frontières entre plusieurs genres : entre bande dessinée et carnet personnel, entre recueil de poésie et album illustré. Une lecture qui pourrait être parcourue rapidement mais dont chaque image oblige à s'arrêter. Toujours les dessins au crayon de couleur, qui peuplaient Moi aussi je voulais l'emporter, et qui jouxtent les textes sans nécessairement s'y rapporter de façon directe, mais souvent avec subtilité. Je pense ici à tous les dessins d'éléments naturels : croquis de paysages colorés, détails fragmentés de ceux-ci, à la manière de planches botaniques ou anatomiques, bribes d'éléments vus et parcourus, de lectures ou de films que Julie Delporte évoque parfaitement. On a plaisir à retrouver les sources dont proviennent toutes ces illustrations dans les notes à la fin du livre, comme une bibliographie qui recenserait les films et les jardins d'où se sont échappées les images, et les références propres à chaque portrait, portraits de femmes auxquelles Julie Delporte fait allusion ou auxquelles elle lie son histoire. Cette histoire est celle d'une femme qui met du temps à trouver les mots qui la définissent et qui définissent ce qui lui est arrivé. Ce livre évoque le parcours qui la conduit à comprendre qu'elle est lesbienne, et le parcours tout aussi difficile pour comprendre sa légitimité à se définir ainsi, et les illustrations accompagnent merveilleusement cette progression. Ce livre parle aussi de violences sexuelles subies dans l'enfance ou l'adolescence, et peut en cela être une lecture éprouvante, dont on ressort différent'es. Si ce thème est abordé, c'est tantôt de façon allusive tantôt en s'appuyant sur des faits concrets de l'expérience personnelle de l'autrice - dont l'oeuvre semble revêtir, pour une part aussi grande que dans Moi aussi je voulais l'emporter, une dimension autobiographique - mais toujours dans une perspective qui ouvre sur le temps de se reconstruire, et sur le temps de guérir les blessures. Les mots qui débutent l'ouvrage, placés dans l'intérieur de la couverture, annoncent le constat qui conduit à l'oeuvre et dont elle déploie le cheminement : “Ce qui ne m'a pas tuée ne m'a pas rendue plus forte. le temps n'a pas guéri toutes mes blessures. Mais je peux constater que, malgré tout, je suis encore vivante.” qui résonne avec le titre de l'ouvrage.
J'ai adoré cette dernière parution de Julie Delporte, une très douce lecture qui mérite d'être réitérée, tant les illustrations sont belles et invitent à un regard attentif, et les mots puissants, donnant envie de noter des bribes du texte au long de la lecture.
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TW: viols, culture du viol, traumas, agressions, dissociation

Un roman graphique foncièrement queer, ancré dans des références d'oeuvres artistiques (cinématographiques, littéraires, musicales, performatives, iconographiques) de femmes des 20ieme et 21ieme siècles. Les réflexions sont d'une puissante sensibilité. Ce livre fait état de la violence de l'hétéronormativité dans une société patriarcale transmise insidieusement lors du développement de la vie sexuelle. À travers le témoignage déchirant de la narratrice parle aussi plusieurs femmes, ajoutant au discours dense de ce court ouvrage - celui-ci fait état de la culture du viol, de féminisme, d'état lesbien, d'orientation sexuelle, de transidentité, de traumas, pour ne nommer que cela.

L'usage des dessins est sublime et supporte la calligraphie intime de cette oeuvre.
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Dans Corps Vivante, on suit les réflexions de l'autrice sur la découverte de son lesbianisme à l'âge adulte et ses réflexions sur les violences qu'elle a vécu dans ses précédents rapports (hétéro)sexuels. C'est un ouvrage beau, délicat, puissant que je vous encourage à lire à votre tour ! Les illustrations sont tellement jolies et viennent sublimer les propos de l'autrice. (En plus il y a une page consacrée à Monique Wittig, et oh la la j'aime trop cette femme)
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Un livre d'une extraordinaire douceur, autant dans les couleurs et les traits de crayon que dans la façon de raconter l'histoire touchante et profondément personnelle. Une histoire de devenir que l'on ressent de façon presque physique. C'est beau, c'est doux, c'est triste et rempli d'espoir à la fois. Un livre pour l'âme.
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Quelle incroyable perle que cette BD. C'est une sorte de journal intime avec des dessins magnifiques, des confidences de l'autrice qui raconte sa sexualité. Ses débuts, difficiles et tâtonnants, avec des relations non consenties, de la domination. le sexe est lié à la culpabilité, l'anxiété, la recherche de tendresse. Elle narre ses tâtonnements, son désintérêt parfois, une année de "décroissance sexuelle", la fatigue des hommes... et puis un jour, elle est tombée amoureuse d'une femme. À + de 30 ans. Mais elle précise que son histoire ne commence pas là. Elle aurait aimé être lesbienne depuis longtemps...
Elle partage avec nous son histoire d'amour, mais aussi son entrée en Gouinistan comme elle l'appelle, qui change tout. Les réactions de ses ami•es, de sa famille, la transformation de sa sexualité, de sa féminité et les traumas bien sûr qui ne disparaissent pas du jour au lendemain. le tout avec des références qui ont marqué sa vie, dont certaines que j'adore comme Dorothy Allison, Annie Ernaux, Paul B. Preciado ou Monique Wittig.
C'est donc l'histoire intime d'une lesbienne tardive, qui montre l'évolution de sa sexualité, de son genre, de son corps. de son désir. Après tout, elle est en-corps vivante.
C'est subtil et somptueux, j'ai adoré.
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Dans ce troisième récit autobiographique, on retrouve toute la poésie et la douceur de l'autrice. Ici, on nous parle de la découverte de son homosexualité assez tardive. Une bande-dessinée qui, comme toujours, nous introduit dans le monde plein de couleur de l'artiste.
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