Une seule nuit me sépare des eaux sombres, aux allures de long fleuve pas si tranquille, serpentant à l'infini entre les montagnes des Highlands.
Certains récits sur les apparitions de Nessie résonnent comme des appels au songe, à l'évasion, à accepter tout ce qui nous dépasse. Le surnaturel. Tout ce qui dérange, effraie, mais émerveille aussi.
SLOW. Comme pour rappeler l'importance de prendre son temps. Car la vie tient à ça, à la vitesse à laquelle on prend un virage, en pleine nuit, sur une route détrempée entre Glasgow et Fort Augustus.
La bête serait donc là, dans cette obscurité liquide, dans l’onde opaque d’un gris vert tirant parfois sur le noir
Peu importe que l'invisible et pourtant si célèbre Nessie existe. Ce qui restera des incroyables histoires qui la constituent, de cette enquête médiatique autant que scientifique, ce sont les témoignages, cette implication humaine, ces vies consacrées à l'accumulation de preuves et de photographies, ces existences bouleversées, ces émotions collectives.
Je respire une fois encore l'odeur âcre d'algues et de limon. A la surface du loch, d'une immobilité parfaite, se forment puis s'effacent de petits cercles successifs. Rien de tout ce que j'ai pu lire ou entendre sur les fameux remous causés par le monstre, ni têtes ni bosses qui en émergent. Rien d'autre que le calme infini d'un soir d'automne.
Savoir attendre. Etre à l'affût du moindre signe, du moindre bruit annonciateur, du moindre frémissement. Du plus petit changement de rythme de la nature, du plus infime craquement. Savoir décrypter les odeurs que le vent charrie, chaque cri dans les arbres, utiliser chaque variation de lumière.
On ne consacre pas dix années de sa vie à ce en quoi on ne croit pas.
Au fond du paysage, les deux rives et leur relief montagneux font mine de se rejoindre dans une perspective fuyante où le lac s'étrécit avant de disparaître.
Il n'est pas si farfelu de penser que Nessie existe vraiment, après tout, une vingtaine d'espèces préhistoriques vivent aujourd'hui aux quatre coins du monde : le coelacanthe, cet imposant poisson de 172 kg avec une queue en forme de lance et de grosses nageoires prêtes à se transformer en pattes et qui a un certain attrait pour les abysses océanes; le scorpion empereur, un très gros spécimen de -- excusez du peu -- quatre cents millions d'années; trois espèces de requins, celui du Groenland dit requin-lézard, le requin-lutin et le requin éléphant australien, qui sont présentes depuis plus de cent millions d'années; j'ai aussi un faible pour la salamandre géante chinoise -- qui ne fait pas moins de 1,80 mètre et qui est sans doute à l'origine des mythiques dragons -- dont le dos moucheté de gris, proche de celui d'un silure, me fait penser à un monstre aquatique fendant la surface du Loch Ness sur la photo de Steve Challice prise dans la baie d'Urquhart...