•GÉANT ATTACHANT•
Il y a des personnages dont on se souvient plus que d'autres. Il s'appelle
Jean-Pierre. Jean-Pierre Mazas. On ne sait pourtant que bien peu de choses sur lui alors
Pascal Dessaint est parti enquêter sur le Géant-de-Montastruc. Les photos sont saisissantes et on imagine non seulement la douleur mais aussi la souffrance d'un tel homme à une époque où la différence était bien moins acceptée qu'aujourd'hui.
Pascal Dessaint, une fois n'est pas coutume devient l'enquêteur, laissant le polar de côté en ces temps déjà très noirs.
Après avoir vu dans un musée toulousain, les preuves d'un certain gigantisme, il ne peut plus s'arrêter, il désire connaître la vie de ce paysan laboureur cabossé par la vie. Jean-Pierre Mazas mesure 2 mètres 20 après ses seize ans où sa croissance ne s'arrête guère. Regardé avec méfiance ou curiosité il est très vite enrôlé dans les foires pour lutter. Humiliant tour à tour ses adversaires pendant des années dans sa région natale ou à Paris, il devient une légende régionale.
À une époque actuelle où l'on s'émeut de la moindre moquerie, au XIX ème siècle, les surnoms des lutteurs prennent une place tout à fait singulière. On avance ainsi avec cette petite histoire dans la grande où les métayers sont encore sous le joug d'un maître. En naissant en 1847 à une époque charnière en matière industrielle, on voit évoluer à ses côtés la grande Histoire•••
Il paraît difficile de définir ce livre, à la fois roman, documentaire, récit. Mais on a-t-on véritablement besoin d'une étiquette, n'en avons-nous déjà pas assez ?
Pascal Dessaint réussit à redonner vie à un ouvrier atypique dont personne n'avait parlé. Combien d'individus au passé héroïque ou sublime ont été rayés de la carte ? Si de nos jours tout est archivé il est difficile de s'interroger sur notre histoire, sur notre façon de protéger l'autre. Même si Jean-Pierre Mazas paraissait puissant et indestructible il n'en est rien. Lui aussi a souffert et ce par deux fois. Par le regard d'autrui bien sûr mais également dans sa propre chair. Lui, qui a ensuite été un phénomène de foire puis étudié sous tous les angles par Édouard Brissaud à une époque où la théorie du criminel-né était particulièrement crédible.
Cesare Lombroso considérait qu'il existait ainsi un gène du criminel, parfois héréditaire où les caractéristiques physiques comme la longueur excessive des bras, un grand front et un long nez faisaient croire à un potentiel criminel (vous vous êtes reconnus ?).
Pascal Dessaint vient ainsi s'attacher à un homme que j'ai adoré côtoyer à travers la littérature. Si l'on a envie de transposer cette situation en 2021, on s'inquiète, on hausse les sourcils devant un monde qui n'avait aucune pitié ou quelconque forme d'empathie. Je vous conseillerais presque de piocher dans les textes (de manière chronologique ne soyons pas fous) comme avec des nouvelles pour continuer de penser à cet homme dans le temps libre. Foisonnant d'informations, ce récit se savoure. Avec une écriture impactée par le colosse, j'ai eu l'impression que même la mise en page au travers d'affiches annonçant les combat, était le calque de la vie de Jean-Pierre Mazas dont je ne peux oublier ni le visage ni son histoire.