Troublant
Je referme
Ubik à l'instant, et le moins que l'on puisse dire, c'est que j'en garde un sentiment étrange, mitigé. Cela doit signifier que l'auteur a réussi son pari, j'imagine.
Pour ne rien vous cacher, j'ai été très peu séduit par le style d'écriture, linéaire, monotone, sans âme véritable. Ses nouvelles m'avaient laissé une meilleure impression, peut-être grâce à la condensation des idées et péripéties qui rendait le tout plus pêchu. On est très loin de la plume riche, poétique, analytique et spirituelle de
Frank Herbert, pour ne citer que lui.
Dans
Ubik, ce n'est qu'au milieu du livre que l'histoire commence vraiment à se structurer et à s'emballer. Avant cela, ce n'est qu'un déroulé de scènes, rencontres et conversations dans un style plutôt froid et sans grand intérêt. Peut-être fallait-il en passer par là, afin de se familiariser avec ces personnage – c'est volontairement que je n'écris pas “attacher”.
Une fois que l'élément perturbateur vient bouleverser la mission nos protagonistes (oui, chez Dick, la trame du récit obéit souvent aux plans et autres patrons préétablis), on peut enfin s'intéresser aux idées curieuses qu'il va dérouler, et tenter, je dis bien tenter d'entrer dans son esprit et de comprendre où il veut en venir.
La relativité temporelle et autres altérations de la réalité sont des thèmes qui me sont chers, et bien souvent, je sais qu'un film ou un livre m'a plu lorsqu'au générique de fin, je reste à cogiter ou à discuter du pourquoi et du comment, et d'éventuelles trames alternatives. Ici, c'est (presque) le cas. Si l'auteur sait transmettre la confusion de ses personnages à ses lecteurs, j'ai par moment pensé que cela était dû au fait que lui-même ne voyait pas très clair dans cette diversité qu'il proposait. Peut-être souhaitait-il simplement partager le joyeux chaos qui régnait dans son esprit ? Il n'y a donc pas une idée fixe, un mode de pensée figé qui accompagne le petit groupe jusqu'à la toute fin, moment auquel un unique retournement de situation aurait pu sublimer le tout, mais bien plusieurs perturbations successives, plusieurs éclaircissements, plusieurs perceptions, changements de points de vue, indices et découvertes suggérant tout et son contraire. On a le sentiment que
Philip K. Dick ne sait pas comment se dépêtrer de tout cela, ce qui m'a gêné par moment, mais j'ai dans l'idée qu'il s'agit là d'un choix assumé de ne jamais prendre parti, de n'admettre aucune vérité absolue, et de se contenter de nous offrir des pistes d'exploration variées, quitte à se perdre – et nous perdre – dans sa folie.
Cela étant dit, la régression du temps est extrêmement bien rendue, les quelques détails propres à telle ou telle époque nous permettent de visualiser avec intérêt ce que Joe Chip et les autres doivent subir, psychologiquement comme physiquement. C'est là, selon moi, la principale qualité de ce roman. Les liens possibles/probables entre la semi-vie et la vie réelle sont passionnants et plutôt bien traités, et ce, jusqu'à la fin du roman. Des interactions, altérations et dangers qui laissent songeur.
A vouloir balayer un champ aussi large de considérations, à vouloir dépeindre une idée aussi abstraite, l'auteur a, par la force des choses, donné un caractère trop métaphysique à son histoire, et ainsi rendu
Ubik inaccessible à bon nombre de lecteurs. Aussi, ne comptez pas trop sur la charge émotionnelle ou la qualité littéraire de ce livre. Il n'en reste pas moins que celles et ceux qui consentiront à l'effort de concentration et de réflexion que cette oeuvre requiert passeront un très bon moment.
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