« Plongez dans la baignoire
pour voir d'où vient le vent.
Vous êtes tous morts, je suis vivant. »
A moins que vous préfériez la citation culte pleine d'humour de
Philip K. Dick :
« SAUTEZ DANS L'URINOIR POUR Y CHERCHER DE L'OR.
JE SUIS VIVANT ET VOUS ÊTES MORTS. »
Bien souvent, je préfère les livres aux adaptations cinématographiques. L'oeuvre de l'auteur américain
Philip K. Dick a inspiré de nombreuses adaptations cinématographiques, comme Blade Runner, Total Recall,
Paycheck, des films dont j'ai adoré l'univers original, foisonnant et délicieusement complexe.
J'aime la science-fiction, j'aurais donc dû m'intéresser à ses romans. Et pourtant, étrangement, je n'en ai lu aucun jusqu'à aujourd'hui. Plusieurs critiques ont attiré mon attention sur cette dystopie et j'en remercie Anna, Bernard, Isidore, et Paul.
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« Je suis
Ubik.
Avant que l'univers soit, je suis.
J'ai fait les soleils.
J'ai fait les mondes.
J'ai créé les êtres vivants et les lieux qu'ils habitent ;
Je les y ai transportés, je les y ai placés.
Ils vont où je veux, ils font ce que je dis.
Je suis le mot et mon nom n'est jamais prononcé,
Le nom qui n'est connu de personne.
Je suis appelé
Ubik, mais ce n'est pas mon nom.
Je suis.
Je serai toujours. »
En ouvrant «
Ubik », vous entrez dans le monde labyrinthique de l'esprit où la réalité et le temps se distordent, se déforment jusqu'à ce que vous perdiez tous vos repères avec le tangible, le visible, la conscience.
« Il se sentit tout d'un coup pareil à un phalène impuissant, voletant contre la vitre qui le sépare de la réalité tout en ne voyant que confusément celle-ci de l'extérieur. »
Cette phrase pourrait résumer mon ressenti de lecture. J'ai été, tel un papillon, me cognant à la vitre de la réalité, tâtonnant pour échapper au sentier qui bifurque vers l'incompréhension.
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L'histoire commence dans un futur où l'humanité a colonisé la Lune, où certaines personnes sont dotées de pouvoirs psychiques, tels que la précognition ou la télépathie.
Certaines entreprises « anti-psy » comme celle de Glen Runciter recrutent ces individus pour contrer les télépathes et les précogs malveillants.
Avec onze de ses meilleurs éléments dont son bras droit Joe Chip, il se rend sur la Lune pour protéger une firme qui se sent menacée par des attaques psis. Mais la mission est un désastre et après cela, le lecteur bascule dans un monde étrange truffé d'anachronismes : les contours de la réalité s'estompent, s'ombrent et le temps semble reculer, transformant physiquement le monde dans lequel ils vivent.
« Nous sommes là où nous avons toujours été. Mais pour une certaine raison – une parmi plusieurs possibles – la réalité a reculé ; elle a perdu son support, son assise, et elle a reflué vers des formes antérieures. »
Le temps est-il faussé, chamboulé, inversé ? Sont-ils dans une autre réalité, un univers parallèle ? Sont-ils vivants, morts, maintenus dans un état de "demi-vie" ? Est-ce un rêve, une illusion ? Joe Chip est-il atteint d'une maladie psychiatrique qui engendre une déformation de la perception de la réalité, de l'espace, du temps, et de lui-même ?
Le lecteur, désorienté, chemine au côté de Joe Chip, essayant de démêler les fils tortueux de l'intrigue. On pense avoir compris, et l'instant d'après, de nouvelles révélations modifient notre perception du réel.
Je ne vous en dis pas plus pour vous laisser découvrir la suite de cette histoire et interpréter à votre manière ce qui s'est passé lors de ce voyage sur la Lune.
La fin ouverte n'apporte pas toutes les réponses à nos questions mais cette incertitude voulue par l'auteur est parfaitement cohérente avec l'ensemble du récit. Elle permet de prolonger le temps de la lecture, de prendre de la distance et ainsi mieux réfléchir aux multiples questions que soulève ce roman.
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Et
Ubik dans tout ça ? Qu'est vraiment
Ubik ?
Une publicité pour
Ubik apparaît en tête de chaque chapitre. Tour à tour une bière, un aspirateur, du café, une sauce salade, un antalgique, une lame de rasoir, …,
Ubik semble matériel, instable, polymorphe, vaporeux et s'adapter aux besoins de chaque individu.
Là encore,
Ubik est ouvert à un faisceau d'interprétations différentes.
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Vous aurez compris,
Ubik explore de nombreux thèmes autour de la perception, la modification et la manipulation de la réalité.
Philip K. Dick a construit un monde complexe et labyrinthique où le temps se dérègle et régresse. Passé, présent, futur s'enchevêtrent et notre perception du vrai en est totalement altérée. J'ai même eu le sentiment d'être dans une réalité virtuelle.
Ubik, c'est aussi une réflexion autour de la nature de la mort, à l'image de la femme de Glen Runciter, Ella, décédée, mais maintenue quelques temps dans un état de semi-vie grâce à des capsules cryoniques. Cette méthode de conservation permet ainsi de prolonger la vie, le degré de conscience étant tel qu'elle peut communiquer avec ses proches.
Ainsi, l'auteur maintient habilement une frontière incertaine et floue entre la vie et la mort, la mort étant comme un prolongement de la vie et non une rupture.
Cette dimension participe à cette impression troublante de flottement, d'irréalité, de songe, voire de cauchemar.
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Pour conclure, «
Ubik » est un roman insolite, déroutant, qui nous égare facilement dans les méandres de l'esprit.
Philip K. Dick manipule ses lecteurs et leurs repères avec la réalité s'effacent pour notre plus grand plaisir.
Une expérience de lecture originale.
«
Ubik : de la vitalité pour toute la journée !
Sans danger si l'on respecte les indications. »