J'aime être emportée par une lecture imprévue, être surprise par un auteur inconnu, comme cela a été le cas avec ce titre. Il faut dire que l'écriture de
Théodora Dimova dégage une intensité qui ne peut laisser indifférent. le premier chapitre de "
Mères" vous cueille à froid, logorrhée heurtée, d'une violence poignante, évoquant la détresse d'Andreia, orpheline d'une mère non pas défunte mais dépressive, au bord de la démence, indifférente à tout sauf à sa propre douleur, incapable ne serait-ce que de faire semblant d'éprouver le moindre sentiment pour sa fille, qui en est dévastée.
Suivent d'autres chapitres, ayant pour titre le prénom de celui ou celle dont ils évoquent la douloureuse histoire, portée par une plume vibrante, percutante, qui obsède et glace à la fois. Lia, Dana, Alexandre, Nikola... Ils sont tous adolescents, filles ou garçons, riches ou pauvres, enfants uniques à une exception près. La souffrance les a fait grandir trop tôt, les a plombés de la gravité de ceux qui savent ne pouvoir compter que sur eux-mêmes. le drame de leurs courtes existences, marquées par l'abandon, la négligence ou la violence, puise ses racines dans le lien à la mère, perverti par une relation toxique ou par l'absence, qu'elle soit physique ou psychique.
Un autre point commun les réunit : la mystérieuse Yavora, évoquée à la fin de chaque séquence, à propos de laquelle un enquêteur anonyme les interroge, dans le cadre de ce qui s'apparente à une audition judiciaire. Les adolescents tergiversent, renâclent, incapable de la dépeindre autrement qu'en se référant à leurs rêves, ou en utilisant des métaphores, femme providentielle et impalpable, dotée d'un charisme surnaturel, figure idéale d'une mère dont chacun est en carence...
En toile de fond, au gré des éléments composant le quotidien de chacun des protagonistes, se dessine la Bulgarie des années 2000, gangrenée par la corruption et les inégalités sociales. L'espoir initié par la fin de l'ère communiste vécue par leurs parents a fait place à une désillusion que semblent incarner ces
mères déficientes, elles-mêmes victimes d'un système inique ou d'une filiation délétère.
"
Mères" est un récit bouleversant, glaçant, dont on pressent avec effroi l'issue inéluctable, qui met en évidence l'influence de l'instabilité familiale dans la propension à la violence.
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