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sur 1626 notes
*** Rentrée littéraire 2018 ***

En cette année du centenaire de la fin de la Première guerre mondiale, on ne peut que se réjouir qu'il y ait encore des romans pour aborder la Grande guerre sous un angle inédit et tout aussi subversif qu'Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre.

Alfa est un des 134.000 tirailleurs sénégalais jetés dans l'enfer des tranchées pour sauver la mère Patrie. Alfa et Mademba, son frère d'âme, éventré quasi sous ses yeux, le «  dedans du corps dehors », qui n'en finit plus d'agoniser dans les bras de son  « plus que frère ». Alfa ne peut se résoudre à abréger ses souffrances, et dans une cérémonie des adieux terrible, il porte ses tripes et son corps dans le refuge de la tranchée. En fait il va les porter pour toujours, ses tripes et ce corps, hanté par la culpabilité de n'avoir pas su accompagner et aider son ami sur la voix de la mort.
«  Ce n'est qu'à ta mort, au crépuscule, que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterai plus la voie du devoir, la voix qui ordonne, la voix qui impose la voie. »

La bascule est là, comme une malédiction schizophrénique. Il ne fera plus le sauvage pour la France mais pour lui-même, pour se racheter en mettant au point un rituel empli de folie monstrueuse qui le met en marge de la guerre elle-même, devenant un «  dévoreur d'âmes » comme on dit dans son Sénégal.
Le monologue incantatoire d'Alfa n'est qu'un long cri halluciné, le pardon que demande Alfa au défunt. le style est étonnant, fait de phrase, brutes et simples, répétées, revisitées en cercles concentriques comme un chant obsédant, ponctué de métaphores et d'images. Très poétique aussi lorsqu'Alfa se souvient de son enfance, de ses parents, de Fary son aimée, dans des passages lumineux qui tiennent presque du conte.

Une écriture à l'os qui dit "je" sans aucun filtre et interroge sur l'ensauvagement qui produit toute guerre, sur la frontière entre la guerre dite «  civilisée » et celle qui ne l'est plus. Est-ce Alfa le barbare ou le coup de sifflet du capitaine qui plonge les soldats sous la mitraille ? Celui qui devenu fou mutile ou ceux qui détournent la tête hypocritement face à ces âmes fracassées pour toujours par la guerre ?

Ce roman a l'élégance de la concision, 175 pages percutantes, intenses. Vraiment remarquable.
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« dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées »

Ode à l'amitié et à la liberté, d'un style répété comme une chanson, Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais, ne pourra sauver « son plus que frère » de l'horreur de la guerre. Après avoir laissé se déchaîner sa colère jusqu'à la folie, il sera temps pour lui de se retourner et de se poser, dans une complainte lancinante, Alfa le griot nous invite à le suivre sur le fil de sa vie.
Une poésie sensible et inspirée, pour nous faire croire encore en l'espoir et en la paix.

Lu en juin 2018.

Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/David-D..
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Je viens de terminer la lecture de ce " petit roman " et , bien sûr , comme après chacune de mes découvertes, me voici à m'interroger sur mon ressenti , sur les émotions qui ont pu ( ou non ) m'envahir..
Tout d'abord , la première des choses qui m'a interpellé avant même de commencer , c'est de savoir que ce roman a obtenu " le Goncourt des lycéens ." Bon , je sais , les prix , c'est comme les feuilles mortes , ça tombe en automne , ça fait des tas et ça donne du boulot pour les ramasser . Bref , un prix , ça ne veut pas toujours dire grand chose , l'aspect économique et les querelles des maisons d'édition pour " attraper la queue du Mickey " passant parfois avant l' intérêt du lecteur . C'est comme ça , si on se ruait un peu moins vite vers les " récompensés " , on verrait sans doute mieux les pépites souvent dissimulés par les gros arbres ...Bref , je reviens au prix des lycéens. Si je ne m'abuse , il s'agit d'un prix attribué par des lecteurs et même de jeunes lecteurs de première ou terminale , des lecteurs " neufs " , pleins de verve , d'envie de savoir , d'envie de connaître le monde dans lequel ils vont vivre , soucieux d'un avenir qu'on leur prédit bien sinistre..Alors , oui , nous en sommes parfois un peu (beaucoup ) jaloux de ces " petits cons " que nous avons nous - même été ....ouhlà là , ça fait tant que ça..??? Sauf que les " petits cons " en question ( Oui , ça peut choquer mais à leur tour, un jour , hein...) quand on leur confie la tache de décerner un prix , ils ne s'embarrassent ni de préjugés, ni de contraintes économiques et n'ont pas de " chouchou " . Il faut les voir aller discuter avec les auteurs , questionner , critiquer lors des fêtes du livre . Cet âge est sans pitié ."Un spectacle" que j'ai pu observer à Brive . Et le " Goncourt des lycéens " c'est un prix attribué avec les " tripes " de tous ces citoyens en herbe , et , à mon avis , c'est toujours un bon roman...
Bon , là , des lecteurs facétieux pourraient dire qu'ils l'ont choisi parcequ'il était court . Oui , bon , je n'insiste pas , ce serait de mauvais goût, même si , parfois , et je l'ai vu , "la longueur" d'un ouvrage peut être source de découragement....
Je vous ai dit que le lauréat , ils allaient le chercher avec leurs tripes et , le moins que l'on puisse dire , c'est que cet ouvrage n'en manque pas . La tranchée libère des hommes dont les tripes vont s'étaler dans les franges boueuses du champ de batailles . Scènes choquantes , violentes , insoutenables dans un début d'histoire poignant raconté par un tirailleur sénégalais dont la raison va vaciller lorsque son ami , son autre moi , va succomber dans ses bras après d'atroces souffrances qu'il n'a pas voulu , pas pu abréger malgré les supplications.
Et la violence va encore déferler lorsque le devoir va céder la place à la vengeance . L'humain perd de son aura , " les dents claquent , des auréoles teintent les pantalons " , la guerre racontée ainsi frappe au plus profond et l'horreur qu'elle retrace ne peut que toucher des jeunes qui , dans leur grande majorité, n'en veulent pas , heureusement ...Les anciens ne sont plus là pour raconter , pour rappeler les valeurs , le temps apaise les souffrances , les souvenirs s'estompent et ...le danger , sournoisement , fait son oeuvre .
Dans ce roman , il me semble y voir tout ça , une foison d'idées exprimées par la transcription sur le papier d'une légende africaine orale qu'il ne faut pas oublier , de codes d'honneur .... Oui , c'est parfois redondant , répétitif , comme une litanie obsédante qu'on aurait envie de chasser de soi mais qui nous protégera tant que nous l'entendrons . La " sagesse africaine " .
Les jeunes ( petits cons dont j'ai parlé plus haut ) ont tous un air bravache pour nous ressasser ces " je sais , je sais " qui nous irritent tant mais ils ont une énorme faculté , celle de puiser , ensemble , les idées qui les façonneront dans des livres comme celui - ci , car je crois qu'ils se reconnaissent dans la vie d'Alpha avant la guerre , dans les premiers émois....
Le style , brutal , sied au message , me semble - t- il .On peut aborder ce court ouvrage sous bien des angles il offre tant d'ouvertures que je voudrais bien être le témoin d'une discussion de lycéens à son sujet , je crois que nous en tirerions bien des enseignements , voire de belles surprises .
Allez , maintenant , on attend les " prix " .Vous l'avez compris , ils ne m'intéressent pas , sauf l'incontournable " Goncourt des lycéens ".
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Ce livre m'a été offert par mon chéri. Il ne m'offre jamais de fleurs mais des livres, c'est moi qui préfère, "Parce que les fleurs c'est périssable", "puis les" bouquins "c'est tellement" bien...

"Frère d'âme" est un roman sur la Guerre Mondiale, la première, celle des tranchées et des tirailleurs sénégalais, mais pas que...

Alfa Ndiaye vit dans une petite ville du Sénégal quand son ami Mademba Diop, son frère choisi, son "plus que frère", légèrement influencé par le bourrage de crâne de l'école française, décide de se porter volontaire pour rejoindre les tranchées et défendre la Patrie. Alfa le suit dans ce choix qui pour eux est un passeport pour la liberté : s'ils rentrent sains et saufs, l'argent gagné leur permettra de travailler et de vivre une vie décente.
Nous suivons donc les deux frères dans cette guerre infâme, où la boue et le sang se mélangent, où la peur s'insinue dans la moindre parcelle de l'être, où survivre devient le seul credo, où survivre signifie parfois devenir sauvage jusqu'aux limites même de la raison.

L'écriture est très belle et poétique. Entre les lignes paraissent quelques vérités cachées sur cette comédie qu'est la guerre, sur son hypocrisie dans l'utilisation des colonies, grandes pourvoyeuses de "chair à canon".
Plus qu'un roman de guerre c'est un roman de guerre et d'amour, l'amour d'un frère pour un autre. de l'amour à la mort, quand la guerre s'en mêle, il y a moins que la largeur d'une tranchée. du désespoir à la folie, il y a moins que la portée d'un fusil.
Doux et subtil, ce roman dénonce très adroitement la folie démesurée de la Guerre.
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Voici un roman à la beauté époustouflante lu d'une traite .
Il nous plonge au coeur de la terreur, dans les tranchées de la Grande Guerre, vues par un tirailleur sénégalais .
Ce très beau récit, puissant et déchirant à la fois montre la capacité de l'homme à se surpasser "parfois "dans la violence , ce sont les circonstances qui réveille ces pulsions sanguinaires ....
Un matin de la grande guerre , les soldats s'élancent à l'assaut de l'ennemi allemand sous les ordres du capitaine Armand .
Alfa Ndiyae et "son plus que frère" , Mademba Diop : (ils ont été élevés ensemble ), deux tirailleurs sénégalais jaillissent de leur tranchée , enrôlés dans la guerre , de la chair à canon.....venue d'un autre continent ....
Soudain Mademba tombe , blessé à mort sous les yeux d'Alfa, son presque frére .....

Dans l'horreur ambiante , bouleversé par la mort de Mademba : " Les tripes à l'air[ ....], comme un mouton dépecé par le boucher rituel après son sacrifice ...."
Alfa se retrouve seul dans la folie du massacre.
Sa Raison s'enfuit .
La colére et la rage deviennent le moteur de ce survivant , " dévoreur d'âmes " , prêt à massacrer quiconque se trouvera sur son chemin....
Détaché de tout, devenu fou par la douleur, Alfa sème l'effroi , tue tant qu'il peut, coupe des mains comme s'il cueillait des fleurs, chacun de ses camarades prend peur....
" Dans le monde d'avant , je n'aurais pas osé , mais dans le monde d'aujourd'hui , par la vérité de Dieu , je me suis permis l'impensable ...." .
L'auteur dans une belle langue simple , délicate , imagée , ponctuée de temps très forts , qui colle parfaitement au trouble de son héros donne voix à ce soldat,, plus lui- même, perdu par la douleur et l'aveuglement , désemparé et sanguinaire ....
Il redonne vie à ces milliers d'hommes ces "Chocolats d'Afrique Noire ", jamais entendus jusqu'alors ou si peu qu'on envoyait se faire trouer la peau au coeur d'un conflit qui n'était pas le leur ....

Revenu à l'arrière , Alfa se remémore son enfance et son amour pour sa belle ....

Cet ouvrage est aussi une réflexion à propos de la violence et de l'amitié absolue, au delà de tout , peut être aussi, un questionnement sur les rapports ambigus entre la France et l'Afrique coloniale, à la fois lointaines et proches ....
Un Trés Bel Ouvrage , ce n'est que mon avis bien sûr .
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Au coeur de ce récit aux allures de conte cruel, la triste banalité de la guerre, celle qui il y a cent ans a assassiné au nom d'idéaux fallacieux cachant juste la soif de pouvoir , des millions de vies humaines. Et parmi cette foule sacrificielle, certains furent moins égaux que d'autres, et parmi eux les tirailleurs africains. C'est la voix de l'un d'eux qui nous confie sa détresse et nous raconte comment son frère d'arme et d'âme , est mort au combat, et comment il a pu essayer de répondre à la terrible souffrance que fut la perte de son ami, alors qu'il est rongé par la culpabilité d'avoir été incapable de mettre fin à ses souffrances.

Si les scènes de guerre, au coeur des tranchées ne sont pas sans rappeler Au revoir là-haut, l'écriture s'en différencie, de l'incantation à la folie, les mots ornent la souffrance, masquent l'indicible et prennent le pouvoir sur l'horreur qui ronge la raison.

Le choix des lycéens est osé, démentant la légitimité d'une littérature jeunesse, et il faut une grande maturité pour décerner un prix, mérité , à un tel ouvrage.

Ce récit laisse une empreinte forte sur les souvenirs, et fera partie de ceux que les années n'effacent pas. Thèmes universels porté par une langue de poète, la guerre, les regrets du pays perdu, les alliances impossibles, l'amitié perdue, prennent ici des allures bibliques, avec en ligne d empire la folie, seule rempart contre la souffrance.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Incantatoire, itérative, douloureuse, lancinante, est la complainte d'Alfa pleurant Mademba, mort sur le champ de bataille. Nous sommes pendant la Première Guerre mondiale, les deux amis se sont engagés aux côtés de leurs frères tirailleurs sénégalais. Dans la grande boucherie, parce que Mademba est mortellement blessé, Alfa perd la raison dans son refus d'achever son presque frère. Il tue désormais comme « un sauvage », mutilant l'ennemi aux yeux bleus, en un rituel sacrificiel. Ainsi sorcier maléfique pour ses camarades, craint pour sa force et sa déraison, Alfa est éloigné à l'arrière, où âme égarée sans fin il devient son seul véritable ennemi.

N'aura-t-on jamais fini d'écrire sur le mal absolu de la guerre qui tue et rend fou ? Non probablement, et c'est nécessaire car la mémoire des hommes est courte. Ici David Diop, dans un chant prégnant et beau (si ce n'est l'abus de la répétition, donnant parfois un sentiment de lassitude), rend un hommage à nos frères noirs — près de 200 000 Sénégalais des troupes coloniales, engagés dans une des guerres les plus absurdes et meurtrières.
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Rappeler le sacrifice de tous ces hommes morts pour la France est essentiel et indispensable. Ne jamais oublier ceux qui sont venus d'un autre continent, volontaires ou pas, pour servir de chair à canon est fondamental mais le faire dans un roman comme Frère d'âme, comme l'a réalisé David Diop, est admirable.
Pour cela, il donne la parole à Alfa Ndiaye qui raconte simplement mais d'une façon si émouvante et sincère comment Mademba Diop – « mon plus que frère, mon ami d'enfance » - est mort, les tripes à l'air, lui demandant trois fois de l'achever, ce qu'il a refusé de faire.
Alfa est déchiré par le remords : « Je n'aurais pas dû te laisser souffrir comme un vieux lion solitaire, dévoré vivant par des hyènes, le dedans dehors. » S'il finit par ramener le corps de son ami dans la tranchée et qu'il est félicité pour son courage, sa vie est complètement bouleversée,
Après avoir quitté brutalement leur village du Sénégal, ces jeunes hommes se sont retrouvés dans l'enfer des tranchées et ont dû obéir : « le capitaine leur a dit qu'ils étaient de grands guerriers, alors ils aiment à se faire tuer en chantant, alors ils rivalisent entre eux de folie. » David Diop m'a ému, touché profondément avec ce langage simple d'un homme confronté à l'impensable, l'inimaginable, cette horreur que les hommes ont créée de toutes pièces pour l'infliger à leurs semblables.
J'ai suivi Alfa Ndiaye dans cette folie imposée, qu'ils soient « soldats toubabs ou soldats chocolats » mais je laisserai au lecteur découvrir comment il tente de venger la mort de son ami et de pardonner ce qu'il pense être une faute, répétant à tout bout de champ : « Par la vérité de Dieu. »
Foncièrement émouvant aussi, ce retour dans son village du Sénégal, ces souvenirs qui remontent à la mémoire comme cette superbe scène qui l'unit à Fary Thiam, fille d'une famille fâchée avec la sienne mais qui l'avait choisi. Expressions innocentes, simples, tellement justes qui n'empêchent pas de faire comprendre toute l'imbécilité de scènes de guerre quand le capitaine donne le signal de l'assaut en sifflant fort pour bien prévenir l'ennemi…
Enfin, je ne peux pas passer sous silence, ces hommes exécutés parce qu'ils ont refusé d'aller se faire tuer bêtement, vies sacrifiées pour l'exemple comme on disait : « À la guerre, quand on a un problème avec un de ses propres soldats, on le fait tuer par les ennemis. C'est plus pratique. »
La folie gagne. On traite ces tirailleurs sénégalais de sorciers et c'est Mademba qui parle enfin, se confondant avec Alfa pour terminer ce roman sensible et vrai sur les ravages causés par la guerre dans cette Afrique noire, avec ses contes et ses légendes où l'homme blanc croyait apporter la civilisation…

Retenu dans diverses sélections et donc en lice pour un prix littéraire, Frère d'âme a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens, récompense méritée qui montre que les jeunes lecteurs ont un goût des plus sûrs. C'est quand même rassurant !
Enfin, ce 2 juin 2021, David Diop et sa traductrice, autrice et poète étasunienne, Anna Moschovakis (photo ci-contre) ont obtenu le prestigieux Booker International Prize sous le titre At night all blood is black.
Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Lu en quelques heures.
Je ressors secouée de cette lecture. Je dois faire partie des âmes sensibles...
L'auteur nous plonge dans le monde cruel de la guerre. le personnage principal Alfa vient de perdre son 'plus que frère', et en même temps la raison. Entre culpabilité et souffrance psychologique, tout est raconté en détails.
Mais l'auteur ne se concentre pas que sur cela. Alfa se remémore son enfance et son amour pour sa belle. Cela m'a permis de souffler.
Une lecture qui ne laissera personne indifférent.
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"Que saviez-vous des querelles
Que réglaient en miaulant
Les fusants et shrapnells
Ces inventions de blancs
Hommes noirs tombés en Flandres
Dans la neige de chez nous
Qui pour parler à vos cendres
Se met jamais à genoux
Vous êtes comme une brique
Par grand vent tombée du toit
Vous qui cherchiez votre Afrique
Dans le soleil de l'Artois
Vos chansons se sont éteintes
Comme des feux trop légers
On n'écoute plus les plaintes
Quand les mots sont étrangers"

écrivait Louis Aragon,  après la Grande Guerre , dans son Cantique aux morts de couleur.

A ce cantique, David Diop répond par les litanies de la folie et la parabole de l'amitié.

L'envoûtement  maléfique du griot , dans Frère d'âme,  se mêle à la sagesse du conte africain, l' incantation du mal à un  dictame d'humanité. 

Le conteur est un  tirailleur sénégalais , Alfa Ndiaye, beau, fort et bon, que la guerre absurde et meurtrière de 14-18 et la mort de Mademba Diop, son meilleur ami, son plus que frère, ont transformé en bête fauve.

Une bête qui a appris à penser, à se rebeller, à opposer sa brutalité sacrificielle à la boucherie absurde, commandée au sifflet, de la guerre de tranchées. 

Jusqu'à inspirer l'effroi aux siens, jusqu'à inquiéter ces chefs qui n'hésitent pas à faire abattre leurs propres hommes "pour l'exemple". 

Alfa devient le noir tueur de l'ombre, celui qui terrorise, qui éviscère et qui mutile l' ennemi aux yeux bleus, Comme s'il fallait dénoncer la folie guerrière par une forme encore plus raffinée, plus absurde,  de cruauté. 

Alfa est un  fauve  qui tourne sur lui-même dans sa cage intérieure, en creusant toujours un peu plus le sillon de ses phrases jusqu'à retrouver, derrière la sauvagerie que la guerre a imprimée à ses pensées , à ses mots et à ses gestes,  son autre lui-même, enfoui en lui, sous la musculature du guerrier, sous le masque du "dëmm" dévoreur d'âmes, sous la violence du dépeceur de corps, son double aimé, aimant, pensant - et sage.

Mademba Diop. Son plus que frère. Son double.

Car tout homme  est double, et si la guerre est une mauvaise folie qui transforme l'homme en créature farouche que rien ne semble toucher ou atteindre, l'amitié est sa part noble, sa fragilité, sa vulnérabilité. L'amitié est  la cicatrice qui rend le monstre  humain.

Et toute cicatrice raconte une histoire.
Une histoire moins simple qu'il n'y paraît.
Car toute histoire est double.

On lit ce court récit, lancinant et répétitif, avec une sorte d'horreur fascinée - et peu à peu se libère, derrière une barbarie candidement assumée, par la magie incantatoire de la langue, une étrange sagesse, une sagesse étrangère :   toute celle de l'Afrique, avec ses rites, ses devoirs, ses musiques, ses couleurs, ses odeurs - sa sensualité, son humanité et son immense poésie.


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