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Sophie Divry a mené l'enquête et retrouvé les cinq hommes qui, durant les grandes manifestations des gilets jaunes en 2018, ont perdu une main, touchés par des grenades chargées au TNI de ces entretiens, l'auteure, journaliste de formation, a composé un récit choral où les mots des uns se mixent aux mots des autres, livrant un texte qui recompose les séquences successives au centre du bouleversement de leur vie. le moment de la charge, la blessure, la panique, l'hospitalisation, l'amputation, la revalidation, l'invalidité, la honte devant leurs parents ou leurs enfants. L'existence de types ordinaires - certains manifestaient pour la première fois, ni casseurs, ni enragés, ni radicaux, ni rien, mais de braves mecs de la classe moyenne qui voulaient faire entendre leur voix parce qu'ils pensaient que le gouvernement français leur manquait de respect... Un exercice de journalisme littéraire très réussi, un récit du réel qui a la force des meilleurs témoignages - émouvant, engagé et exemplaire.
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Ils sont cinq, partis de différents coins de France. Seul, en famille, entre amis, entre collègues. Direction Bordeaux, Tours ou Paris. Ils se nomment Gabriel, Sébastien, Antoine, Frédéric et Ayhan. Ils ont de 22 à 53 ans. Ils sont chaudronnier, animateur, tourneur-fraiseur, lamaneur, syndicaliste. Des travailleurs dont le savoir-faire se situe d'abord dans leurs mains. Ils partent en auto, en train, en tram. Ils partent la fleur au fusil, persuadés de vivre en démocratie. Leur main à couper qu'ils y croient, à la démocratie. Ça se passe le 24 novembre, les 1er et 8 décembre et le 9 février mais c'est la même histoire. Toujours la même histoire sans fin recommencée. L'histoire de tous ceux qui mirent leurs doigts vivants, leurs mains de chair, dans l'engrenage pour que cela change.(1) Ils sont cinq comme les cinq doigts de la main, même si, pour l'heure, ils ne se connaissent pas. Ils sont cinq et convergent vers d'autres qui, comme eux, ont décidé de relever la tête. Parce que la coupe est pleine... Parce que la fin du mois dès la deuxième semaine... Parce que les services publics ferment... Parce que les gens dans la misère, ras-le-bol. Ils sont cinq qui cherchent leurs mots, qui inventent des slogans au sein d'un mouvement sans chef. Ils se méfient du pouvoir qui les a tant de fois désespérés. Ils sont cinq. Ce jour-là, il fait beau, il pleut ou il fait froid. Qu'importe ! Ils sont là, se réchauffant au contact d'autres, venus comme eux crier « La police avec nous » ou « Macron démission ! » Ils sont cinq dans un cortège qui avance, joyeux, festif, revendicatif. Et puis soudain, tout s'arrête. Un mur de CRS barre la route. Impossible d'avancer. Impossible de reculer. Piégés, dans la nasse, comme des poissons pris dans un filet. Ils sont cinq, dans la bousculade, le chaos, la fumée des lacrymos, les cris et le bruit des grenades.

Le 1er décembre, 10.000 grenades sont tirées à Paris, dont 339 GLI-F4, classées « armes de guerre » dans le code de la sécurité intérieure. C'est une grenade de désencerclement ayant un effet de souffle causé par les 25 grammes de TNT qu'elle contient. La France est le seul pays européen à l'utiliser contre sa population. Elle a déjà causé la mort de Rémy Fraisse, en 2014, lors d'une manifestation contre le barrage de Simens. Malgré cela, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a ordonné que l'on s'en serve « jusqu'à épuisement des stocks ». Ça ressemble à un film de guerre. Ils veulent crier, avancer, partir, courir. Pas le temps de réfléchir. Un engin tombe à deux pas. Une incroyable fumée sort de cet engin-là. Quelqu'un crie « Touche pas ! ». Un grand « boum ! » avant un assourdissant silence.

J'ai posé les yeux sur ma main et il n'y avait plus rien. Je me suis dit d'abord : « Je n'ai plus de gant. » J'ai fait une fixation sur le gant, il se passe quelques secondes avant que je me dise qu'en fait non, ce n'est pas le gant, c'est la main qui a disparu. Pulvérisée. Plus de main. A la place, il y a une espèce d'amas de chair dégoulinant de sang. Je voyais l'os au milieu, et des lambeaux de chair de chaque côté, comme une banane. Ma main a explosé. Elle est complètement déchiquetée. C'est une horreur. Alors je crie. Non par douleur mais parce que je suis horrifié par ce que je vois. Je dis à mon collègue : « Putain, j'ai plus de main, j'ai plus de main... » J'ai dû répéter ça plusieurs fois.(2)

Rester conscient. Supporter la douleur. Les minutes s'écoulent plus lentement que le sang. Ils sont cinq, c'est toujours la même histoire sans fin recommencée. L'histoire de tous ceux qui mirent leurs doigts vivants, leurs mains de chair, dans l'engrenage pour que cela change. L'évacuation. L'hospitalisation. L'amputation. L'interminable série d'opérations. La lente cicatrisation. L'acceptation du moignon. La longue rééducation. L'épuisante réadaptation. Une impressionnante panoplie d'émotions...

Sophie Divry s'est arrêtée d'écrire la fiction sur laquelle elle travaillait – un roman d'anticipation se déroulant sur Mars – pour aller à la rencontre de Gabriel, Sébastien, Antoine, Frédéric et Ayhan. C'était de l'ordre du devoir écrit-elle en postface du livre. de leurs cinq témoignages, elle a réalisé un livre choral. Par respect pour eux, le texte est uniquement composé des mots qu'ils ont prononcés. Des paroles que personne ne pourra jamais couper. Dans une tribune écrite par plusieurs jeunes auteurs dont Sophie Divry, publiée dans le Monde fin 2018, on pouvait lire : « Nous voulons écrire ce qui n'a pas encore été écrit, ce qui attend d'être compris, mis en mots. Il y a urgence. Peut-être que, pour dire notre époque monstrueuse, il faut des romans monstrueux. Des romans difformes qui frôlent la catastrophe, osent la poésie, qui n'aient pas peur de l'inédit et de l'indicible. » Cinq mains coupées est un livre de cette trempe-là !

(1) Extrait du poème de Louis Aragon, Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort, in Les Poètes, Gallimard, 1960

(2) Sophie Divry, Cinq mains coupées, 121 pages, 14 €, Seuil, octobre 2020
Lien : https://christianlejosne.jim..
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S'il y a quelque chose d'essentielle à retenir de cette lecture, il se trouve à la fin du livre: « Maintenant, nous savons que lors du mouvement des Gilets jaunes le nombre de blessés est monté à des hauteurs inédites. La France a vécu non seulement un mouvement social historique, mais une répression de masse. Officiellement: 2500 blessés, 12000 arrestations. 314 personnes atteintes à la tête par un flashball, dont 24 ayant perdu un oeil, Mme Redouane tuée des suites d'une grenade lacrymogène tirée vers sa fenêtre, et, donc, 5 mains coupées. » Tout comme il est primordial d'avoir en tête, il me semble, que le pouvoir macronien a utilisé une grenade GLI-F4, classée arme de guerre par le code de la sécurité intérieure, contre sa propre population.
Pour le reste, les cinq témoignages se mélangent les uns aux autres et souvent, hélas, on ne sait plus qui parle, le récit se brouille, on passe de Gabriel à Sébastien sans transition, sous prétexte de faire un choeur de ces histoires individuelles, c'est assez déroutant. J'aurais préféré plus de clarté, j'ai regretté le choix de cette déconstruction qui, à mes yeux, n'est pas à la hauteur de ces français qui ont perdu bien plus qu'une main ce jour là. J'aurais aussi voulu en savoir plus sur leurs motivations, sur leurs choix d'aller manifester à Paris, sur leurs vies ou conditions sociales. Qu'est-ce qui a motivé ces invisibles de la république à plus de visibilité? On n'en saura pas grand chose en lisant l'ouvrage de Sophie Divry.
Je salue en revanche cette initiative pour que jamais on n'oublie que de simples citoyens ont été démembrés par un pouvoir inique.
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Au delà des récits entremêlés, du geste politique que représente ce court texte dont l'autrice n'a écrit, pensé, aucun mot, de la charge émotionnelle, de l'empathie énorme, il y a une performance littéraire magnifique. « À l'instant même où je me suis rendu compte que je n'avais plus ma main, j'ai fermé une porte dans ma tête et j'en ai ouvert une autre » (page 100) Cinq mains de cinq Hommes qui ne font qu'un, qui parlent ensemble d'avant, d'après, du moment de cette perte irréversible, de ce qui percuta leur vie. Un choeur, tel un coeur palpitant, de vies certes amputées mais continuant d'irriguer.
Sophie Divry nous offre des textes forts, ancrés dans la réalité, ne faisant pas table rase des conditions sociales, captant ce qui dérange.
Un livre comme un uppercut à la rétine, pointant in fine l'unique responsable des amputations volontaires de ceux qui, comme l'a dit ce responsable haut placé, ne sont rien, comme lui qui restera un simple nom dans une liste de présidents français.
Merci Sophie.
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Un essai ou plutôt un recueil de témoignages qui s'annonçait passionnant mais l'auteure certainement pour flâter un égo particulièrement mal venu à voulu faire de cet ouvrage un objet conceptuel.
En effet les cinq témoignages sont mis bout à bout, amalgamés, sans que l'on sache qui parle, qui est qui. on ne saura donc pas les parcours de vies de ces cinq mutilés si ce n'est par brides, ni même les circonstances exacte qui amènerons aux drames. C'est comme un puzzle à assembler mais les conséquences sont trop graves pour que l'on est envie de s'amuser.
Le parti pris narratif troublant et discutable ne m'a pas convaincu mais malgré cela, c'est un livre fort émotionnellement tant la vie d'après ces cinq "accidents" est un vrai condensé de ce pour quoi les gilets jaunes se battaient. Confrontés au délabrement de l'hôpital publique, à la faillite de la sécurité social et autres mutuels qui se retournent contre eux, ces témoignages n'en sont que plus puissants et émouvants. Essentiel aussi. La parole de ces "gens qui ne sont rien" se devant d'être conservés et diffusés.
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