Une fois qu'on a goûté l'écriture de
Sophie Divry, il est difficile de l'oublier. Une auteure libre et fantaisiste, engagée, qui se réinvente roman après roman. Avec
Cinq mains coupées, le projet est encore tout autre, c'est un livre-témoignage qui propose un texte composé de la parole de cinq manifestants ayant perdu leur main lors des manifestations des gilets jaunes. À partir d'extraits d'entretiens, elle reconstitue une narration collective de l'histoire de ces cinq hommes, avant, pendant et après leur « mutilation ».
"Je m'appelle Gabriel, j'ai 22 ans. Je m'appelle Sébastien, j'ai 30 ans. Je m'appelle Antoine, j'ai 27 ans. Je m'appelle Frédéric, j'ai 36 ans. Je m'appelle Ayhan, j'ai 53 ans. C'était le samedi 24 novembre. C'était le 1er décembre. C'était le 8 décembre. C'était à Bordeaux. C'était à Tours. C'était place Pey-Berland. C'était place
Jean-Jaurès. C'était sur le boulevard Roosevelt dans le XVIe arrondissement. Ça s'est passé le 9 février devant l'Assemblée nationale, à Paris."
Ces cinq hommes ont en commun d'avoir perdu leur main droite, d'avoir vu leurs vies définitivement bouleversées. Tous racontent la violence, la sidération, la reconstruction après le traumatisme physique mais aussi psychique qu'ils ont subi. Ils parlent d'eux-mêmes et de leurs vies, mais évoquent aussi leurs proches, leurs familles ou leurs collègues, victimes collatérales d'un drame irréparable.
Derrière les mots apparaît en filigrane une fracture, au sein de la population déjà, mais également entre cette dernière et les forces de l'ordre. Et cette question, entêtante, pour la lectrice que je suis, et peut-être pour d'autres, pourquoi ? Pourquoi ce mouvement a t-il généré tant de violences ? Pourquoi l'utilisation de telles armes ? Pour information, le journaliste
David Dufresne a dénombré, au 13 avril 2019, 1 décès et 613 personnes blessées par les forces de l'ordre, dont 238 blessées à la tête, 23 éborgnées et 5 ayant eu une main arrachée...
Un livre court mais intense, troublant et émouvant. Engagé. Militant.
Par son « offre d'un espace de parole »,
Sophie Divry donne la place qui leur revient à ces citoyens mutilés qui lui ont, parfois au prix d'un effort immense, donné la version de leurs histoires. La moindre des choses que je pouvais faire, c'était de les lire et de les écouter, en total respect.