Le lecteur entre dans ce livre, comme par effraction dans la tête de la narratrice.
Hopital Cochin elle attend son tour pour une PMA.
Rappelez-vous quand vous êtes dans une salle d'attente pour quelque chose de plus important qu'un rhume, votre esprit vagabonde et encore davantage lorsque vous allez devenir parent pour la première fois.
Le début du livre n'est pas confus, juste diffus, vous vagabondez avec la narratrice dans le foisonnement d'une famille Iranienne où la petite histoire rejoint
L Histoire.
Kimia est la benjamine, avec sa famille elle a fui l'Iran et est arrivée en France à l'âge de 11 ans.
Elle nous narre le pays de son enfance, ses racines, les empreintes gardées à travers trois générations, l'exil, l'adaptation et ce pays la France si différent, celui où elle vit puisqu'elle n'est jamais retournée en Iran.
Au moment le plus intime de sa vie, l'espoir de devenir maman, Kimia d'une manière totalement désordonnée déroule son chemin de vie. Désordonnée, oui mais pas brouillon, juste à la façon dont la mémoire de chacun fait des sauts dans le passé, un souvenir en faisant surgir mille autres.
La famille orientale est abondante, les oncles sont numérotés et cela m'a fait sourire, mais cela nous permet de mieux appréhender les us et coutumes.
"Il en va de ces images comme des évènements d'une vie. Associés à d'autres, certains évènements apparemment anodins se charge d'un nouveau sens. Ainsi des liens se créent."
Jusqu'en 1979, la vie de la famille Sadr se déroule sous nos yeux ensuite c'est la fracture et c'est l'Iran et ses splendeurs, ses terreurs et ses contradictions.
La famille Sadr et en particulier les parents de Kimia sont des opposants au régime, ce qui va entraîner leur exil.
"A vrai dire, rien ne ressemble plus à l'exil que la naissance. S'arracher par instinct de survie ou par nécessité, avec violence et espoir, à sa demeure première, à sa coque protectrice, pour être propulsé dans un monde inconnu où il faut s'accommoder sans cesse des regards curieux."
Avant l'exil il y a les changements dans la vie de famille, mère au travail, père au foyer, qui induit pour Kimia une éducation différente et un lien distendu du côté maternel. Les parents sont surveillés, les descentes fréquentes et violentes de la police secrète, la peur au ventre pour la petite fille de rentrer chez elle et de retrouver sa famille exterminée.
Le choc de devoir porter foulard et tunique jusqu'aux pieds, sinon c'était l'arrestation et les coups de cravache.
Il faut fuir pour rester en vie.
La fuite c'est partir avec sa mère et ses soeurs et être confiées à un passeur sans jamais savoir si l'on arrivera à destination.
Traverser le Kurdistan à cheval de la neige jusqu'à la taille,par moins vingt-cing degrés, ne pas pouvoir communiquer faute de connaître la langue du passeur.Avoir peur du voyage, de l'arrivée et aussi de se dépouiller de tout ce qui a fait notre vie jusqu'à lors...
Un père intellectuel, absent au quotidien en Iran et en France pas préparé à recevoir sa famille, une mère qui pense à ceux qu'elle a laissé au pays. La dépression des parents comme une entrave, deux soeurs qui pour l'une trouva sa survie dans les études et l'autre complètement noyer dans cette nouvelle vie.
Et Kimia, ne veut pas quitter l'enfance, sa soeur ainée met un mot sur ce qui trouble cette identité en devenir : lesbienne.
Kimia se cherche elle passe par la mode punk , ses outrances et Paris devient sa ville, la France son pays. Mais un pays dont la mémoire essaie d'effacer les cent-dix-sept jours où Khomeyni a été accueilli à Neauphle le château...
L'auteur nous offre un magnifique voyage dans son "andarouni" mais fait d'une aventure personnelle quelque chose d'universel, qui nous éclaire sur l'Histoire de notre monde.
Cette quête de mémoire, celle qui consciemment ou inconsciemment nous façonne pour la vie, l'identité est le fil conducteur de ce roman.
Et comme la vie c'est tour à tour drôle, triste, ironique, tragique... Ce livre me fait penser à cette phrase : « Un livre à succès n'est pas fait de ce qu'il recèle mais de ce qui s'en est échappé.»
Mark Twain
Un premier roman, magnifiquement maitrisé, car si la narration est "désorientée", la subtilité de ce cheminement jusqu'à la vie, pour laquelle il a fallu se désintégrer et apprivoiser cette identité en devenir fait que ce livre jouit d'une audacieuse humanité.
Nagar Djavani reçoit le Prix du Style 2016
©Chantal Lafon de Litteratum Amor 22 novembre 2016