Jack vient d'avoir ses cinq ans. C'est un petit garçon souriant doté d'une curiosité insatiable vivant avec Ma, regardant constamment la télévision et saluant les meubles comme s'il était leur ami. L'existence est monotone certes mais chaleureuse et il le vit bien avec sa maman qui est son centre du monde, dans leur logis. A ceci prés que le dit logis n'est qu'une seule pièce de trois mètres d'où ils vivent séquestrés et que le Grand Méchant Nick vient souvent leur rendre visite, surtout la génitrice certaines nuits où Jack est obligé de séjourner dans le placard... Jack ne voit pas la gravité de la situation qui l'entoure, maman le protège de l'horrible réalité mais plus il grandit, plus l'illusion s'effrite... Et viendra à la mère l'idée certes désespérant mais leur faisant raccrocher à la vie celui de la fuite... mais comment feront-ils et s'ils réussissent, pourront-ils s'adapter au monde extérieur ?
C'est un roman sensible, d'une grande douceur et sobre sur des thèmes durs que nous offre l'autrice irlandaise
Emma Donoghue et qui a d'ailleurs été adapté en un film poignant en 2015 avec la future Supergirl Brie Larson que je recommande à voir. Un ouvrage bouleversant qui évite de tomber dans le sordide et aborde des réflexions touchantes sur l'humain, la maternité, la vie, la résilience et le traumatise. Quelle audace d'avoir comme trame de départ une captivité recluse et d'en faire une histoire émouvante. Car malheureusement ce genre d'histoire de femme retenue prisonnière dans une cave ou une cabane loin des regards par son kidnappeur est déjà arrivé, ne serait-ce que pour voir l'affaire des trois séquestrées de Cleveland, de Natacha Kamputch où encore d'Elisabeth Fritzl qui a d'ailleurs fait émergé à l'auteure l'idée du roman. Elle nous propose de raconter ce genre d'atrocité mais avec humanité et pudeur et le tout dans les yeux d'un enfant.
Si nous sommes déroutés par le début, par l'écriture haché et peu stylistique du petit Jack, ce déconcertement disparaît au profit du malsain qu'on ressent lorsque nous comprenons vite ce qui se passe pour l'enfant et la mère. Un mode de vie glaçant, constamment prisonnier entre quatre murs, à ne jamais voir le soleil ni le ciel et dépendre entièrement sa vie de la merci d'un psychopathe au nom évocateur (Grand Méchant Nick ou Old Nick est chez les anglais un des surnoms de Satan...) qui abuse de Ma et se montre hostile envers le petit. le quotidien est hideux et déprimant mais la relation fusionnelle entre la jeune femme et sa progéniture le rend lumineux tout comme les trésors d'imagination que tous deux déploient, elle pour cacher à son fils les horreurs de la chambre et du Grand Méchant Nick, lui pour s'amuser et combler le vide qui habite perpétuellement. J'ai beaucoup aimé aussi les petites références littéraires qui font écho à leurs jours, entre le Comte de Monte-Cristo abordant un héros captif qui en ressort des années plus tard pour se venger où Alice au pays des merveilles dont Ma s'identifie.
Arrive cependant la seconde partie, qui est encore plus déchirant, le retour à la vie normale qui va s'avérer plus difficile qu'il n'y parait. Après l'incroyable plan d'échappatoire, la réadaption au dehors, à des choses normales mais aussi l'acceptation d'avoir perdu des années de vie, de voir des proches transformé par notre perte, et d'assumer l'expérience vécu et l'harcélement continu et déplacé des journalistes. Mais aussi la reconstruction de soi et l'aide de ces proches à s'en sortir.
Le lien entre l'enfant et la mère est le plus fort dans tout ce récit, un amour maternel indescriptible qui surpasse tous les dangers et monstruosités du monde, et qui cimente la survie. Et tout simplement l'enfance, ses joies, ses peines, et sa maturité qui sont abordés avec finesse et pertinence. Jack est un garçonnet fascinant, qui trouve toujours détermination et optimisme même dans les pires moments et déploie de courage. Un garçonnet qui s'avère plus adulte que la plupart des grands qui l'entourent et ce bien qu'il demeure un bambin. Les abus sexuels et leurs conséquences sur les victimes sont décrits sans violence gratuite mais avec retenue et délicatesse toujours dans la vision d'un enfant, ce qui les rend paradoxalement plus choquants, encore plus quand il s'agit de relater aussi la longue phase de guérison qui s'accompagne avec ses hauts et bas.
L'amour maternel, l'amour filial qui triomphe de tout, l'instinct de survie, l'appétit dévorante de vivre, le chemin de résilience, tels sont les sujets purs que propose ce bel roman psychologique. Il y a bien sûr l'écriture qu'on peut qualifier de médiocre mais dans le contexte c'est justifié étant donné que c'est le point de vue du gamin : après tout Des fleurs pour Algernon adopte aussi la graphie d'un handicapé au mental atrophié mais n'est pas pour autant considéré comme un mauvais livre. Il peut être long, très lent (il l'est) et très sensitif à quiconque le lit mais en vaut la peine, pour son humanisme grandiose et le pari réussi de transformer ce qui semblait être un conte noir en parabole de la maternité, de l'enfance et de la lutte pour continuer d'exister quand tout vous accable. Un récit troublant qui ne tombe jamais dans le pathos et qui montre la vie existante même au coeur de la mort et de l'horreur, de la renaissance et le pouvoir que dégage la maman et son enfant qui peut vaincre tous les obstacles.