Le maître d'armes, personnage fascinant et romanesque s'il en est, déjà exploité, entre autres, par JRR Martin avec celui qui enseigna l'escrime à Arya Stark et reste dans toutes les mémoires, et par Ayroles et
Masbou dans la saga de Cape et de Crocs, en une superbe allégorie de Cyrano de Bergerac...
Ici,
Dorison nous le resitue dans un contexte historique assez bien documenté, le début des guerres de religion sous le règne de François Premier. Et dans un magistral one shot de 100 pages, fait assez rare pour le signaler.
Rude gaillard que ce Hans Stalhoffer... Je n'ai pas compté combien de gus il éventre, décapite et empale au cours de ce road movie/chasse à l'homme, mais il y en a un certain paquet, et il ne fait pas dans la dentelle (à noter qu'il est vraiment, mais alors vraiment très dur au mal, le garçon... Bon sang qu'est-ce qu'il se prend !) Heureusement, il n'est par ailleurs pas aussi rustre que cela, et sa longue expérience (confinant à la désillusion, à vrai dire) va rencontrer l'enthousiasme communicatif d'un jeune compagnon bien moins affûté que lui physiquement, et qui aura bien besoin de son aide musclée pour mener son entreprise à bien.
Rien de bien original dans ce type de relation me dira-t-on, mais la recette fonctionne à merveille : le tandem apporte à l'album une véritable profondeur et l'empêche de n'être qu'une suite de sanglants combats.
Hans s'avère même être presque "en avance sur son temps" en maudissant la stupidité de cette opposition entre huguenots et papistes, et paradoxalement en retard sur son temps en regrettant avec amertume le temps de l'honneur, de la noblesse et de la chevalerie, symbolisée ici par l'opposition épée/rapière (en vérité, la supériorité de la chevalerie et de la noblesse au combat avait déjà du plomb dans l'aile depuis les bombardes
De Crécy en 1346, et avait été anéantie dans le massacre
D Azincourt en 1415).
Autre paradoxe : ce Malestraza, partisan jusqu'au boutiste de la rapière que l'auteur se plaît à nous faire détester, champion du monde nouveau face à Hans, le champion d'un monde révolu, eh bien quand on y réfléchit bien, il représente les bourgeois, mais aussi le peuple, face à un Hans qui symbolise l'élitisme de la noblesse. Car après tout, "ces armes de lâche" que furent l'arbalète, la pique, la rapière et le pistolet, mirent ni plus ni moins que fin à la suprématie de la noblesse sur le champ de bataille, préfigurant ainsi la révolution et l'abolition des privilèges.
Sur le plan religieux, nouveau paradoxe : cette fois, Hans se bat (pas tout de suite, il est vrai) pour la démocratisation de la Bible, face aux faucons de la Sorbonne qui ne souhaitent pas que la messe soit dite autrement qu'en latin (et pour une raison toute différente de Brassens, faut-il le préciser ;-)
Rien de tout cela ne gêne, car l'humain n'est que paradoxes. Cela nourrit au contraire un propos extrêmement riche.
Le final va un peu au-delà de l'hommage très appuyé au film
Rob Roy, puisqu'il reproduit quasiment au détail près la dernière explication musclée entre Tim Roth et Liam Neeson. On pardonne d'autant mieux que la scène est excellente, et s'avère une belle leçon contre l'arrogance, ce qui ne fait jamais de mal.
Le dessin de Parnotte, que je ne connaissais pas – Dieu me flagelle en latin et en français vulgaire – sublime véritablement le propos. C'est bien fait, c'est glacial, c'est sauvage, c'est crépusculaire, on est dedans. Les combats sont particulièrement bien orchestrés et réussis (l'aide d'un spécialiste du combat médiéval remercié en début de volume y a peut-être été pour quelque chose).
Malgré tout, mon seul reproche ira au dessin, en tout cas à certains endroits, mais notoirement stratégiques, où certains enchaînements se font mal, la faute parfois à certaines ellipses un peu hasardeuses d'une case à l'autre. Hop, ils sont avant la rivière, puis hop, ils sont après la rivière, par exemple... Sauf que tu ne le vois pas en première lecture et que c'est hyper important pour la compréhension. Plusieurs retours en arrière à des moments stratégiques m'empêchent donc de mettre la note maximale, je suis intraitable là-dessus, chacun son dada.
N'en demeure pas moins que c'est un ouvrage remarquable que je recommande chaudement, en dépit des hivers glaciaux dans la Franche-Comté du XVIe siècle.