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Citations sur Crime et Châtiment (595)

Le Marché-au-Foin était alors rempli de monde. Cette circonstance déplaisait fort à Raskolnikoff ; toutefois il se dirigea précisément du côté où la foule était le plus compacte. Il aurait acheté la solitude à n’importe quel prix, mais il sentait en lui-même qu’il n’en pourrait jouir une seule minute. Arrivé au milieu de la place, le jeune homme se rappela tout à coup les paroles de Sonia : « Va au carrefour, salue le peuple, baise la terre que tu as souillée par ton péché et dis tout haut, à la face du monde : — Je suis un assassin ! »

À ce souvenir, il trembla de tout son corps. Les angoisses des jours précédents avaient tellement desséché son âme qu’il fut heureux de la trouver encore accessible à une sensation d’un autre ordre et s’abandonna tout entier à celle-ci. Un immense attendrissement s’empara de lui, ses yeux se remplirent de larmes.

Il se mit à genoux au milieu de la place, se courba jusqu’à terre et baisa avec joie le sol boueux. Après s’être relevé, il s’agenouilla de nouveau.

— En voilà un qui ne s’est pas ménagé ! remarqua un gars à côté de lui.

Cette observation fut accueillie par des éclats de rire.

— C’est un pèlerin qui va à Jérusalem.
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— Tu pleures, ma sœur ; mais peux-tu me tendre la main ?

— En doutais-tu ?

Elle le serra avec force contre sa poitrine.

— Est-ce qu’en t’offrant à l’expiation tu n’effaceras pas la moitié de ton crime ? s’écria-t-elle ; en même temps elle embrassait son frère.

— Mon crime ? Quel crime ? répliqua-t-il dans un soudain accès de colère : celui d’avoir tué une vermine sale et malfaisante, une vieille usurière nuisible à tout le monde, un vampire qui suçait le sang des pauvres ? Mais un tel meurtre devrait obtenir l’indulgence pour quarante péchés ! Je n’y pense pas et ne songe nullement à l’effacer. Qu’ont-ils tous à me crier de tous côtés : « Crime ! crime ! » Maintenant que je me suis décidé à affronter gratuitement ce déshonneur, maintenant seulement l’absurdité de ma lâche détermination m’apparaît dans tout son jour ! C’est simplement par bassesse et par impuissance que je me résous à cette démarche.
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— Vous trouvez délicat d’écouter aux portes ?

— Ha ! ha ! j’aurais été bien surpris que vous n’eussiez pas fait cette observation ! répondit en riant Svidrigaïloff. Si vous croyez qu’il n’est pas permis d’écouter aux portes, mais qu’on peut à son gré assassiner les vieilles femmes, comme les magistrats pourraient n’être pas de cet avis, vous ferez bien de filer au plus tôt en Amérique !
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— Porphyre Pétrovitch, dit Raskolnikoff d’un ton sec et pressant, — n’allez pas vous figurer, je vous prie, que je vous ai fait des aveux aujourd’hui. Vous êtes un homme étrange, et je vous ai écouté par pure curiosité. Mais je n’ai rien avoué… n’oubliez pas cela.

— Suffit, je ne l’oublierai pas, — eh, comme il tremble ! Ne vous inquiétez pas, mon cher, je prends bonne note de votre recommandation. Promenez-vous un peu, seulement ne dépassez pas certaines limites. À tout hasard, j’ai encore une petite demande à vous faire, ajouta-t-il en baissant la voix, — elle est un peu délicate, mais elle a son importance : au cas, d’ailleurs improbable selon moi, où durant ces quarante-huit heures la fantaisie vous viendrait d’en finir avec la vie (pardonnez-moi cette absurde supposition), eh bien, laissez un petit billet, rien que deux lignes, et indiquez l’endroit où se trouve la pierre : ce sera plus noble. Allons, au revoir… Que Dieu vous envoie de bonnes pensées !
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Un homme s’est accusé d’un meurtre qu’il n’avait pas commis. Et ce n’est rien de dire qu’il s’est déclaré coupable : il a raconté toute une histoire, une hallucination dont il avait été le jouet, et son récit était si vraisemblable, paraissait tellement d’accord avec les faits, qu’il défiait toute contradiction. Comment s’expliquer cela ? Sans qu’il y eût de sa faute, cet individu avait été, en partie, cause d’un assassinat. Quand il apprit qu’il avait, à son insu, facilité l’œuvre de l’assassin, il en fut si désolé que sa raison s’altéra, et il s’imagina être lui-même le meurtrier ! À la fin, le Sénat dirigeant examina l’affaire, et l’on découvrit que le malheureux était innocent. Tout de même, sans le Sénat dirigeant, c’en était fait de ce pauvre diable ! Voilà ce qui vous pend au nez, batuchka ! On peut aussi devenir monomane quand on va la nuit tirer des cordons de sonnette et faire des questions au sujet du sang ! Voyez-vous, dans l’exercice de ma profession, j’ai eu l’occasion d’étudier toute cette psychologie. C’est un attrait du même genre qui pousse parfois un homme à se jeter par la fenêtre ou du haut d’un clocher… Vous êtes malade, Rodion Romanovitch ! Vous avez eu tort de trop négliger, au début, votre maladie. Vous auriez dû consulter un médecin expérimenté, au lieu de vous faire traiter par ce gros Zosimoff !… Tout cela est, chez vous, l’effet du délire !…
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Si, au contraire, je laisse parfaitement tranquille le coupable présumé, si je ne le fais pas arrêter, si je ne l’inquiète pas, mais qu’à toute heure, à toute minute, il soit obsédé par la pensée que je sais tout, que je ne le perds de vue ni le jour ni la nuit, qu’il est de ma part l’objet d’une surveillance infatigable, — qu’arrivera-t-il dans ces conditions ? Infailliblement il sera pris de vertige, il viendra lui-même chez moi, il me fournira quantité d’armes contre lui et me mettra en mesure de donner aux conclusions de mon enquête un caractère d’évidence mathématique, ce qui ne manque pas de charme.

Si ce procédé peut réussir avec un moujik inculte, il n’est pas non plus sans efficacité quand il s’agit d’un homme éclairé, intelligent, distingué même à certains égards ! Car l’important, mon cher ami, c’est de deviner dans quel sens un homme est développé. Celui-ci est intelligent, je suppose, mais il a des nerfs, des nerfs qui sont excités, malades !... Et la bile, la bile que vous oubliez, quel rôle elle joue chez tous ces gens-là ! Je vous le répète, il y a là une vraie mine de renseignements ! Et que m’importe qu’il se promène en liberté dans la ville ? Je puis bien le laisser jouir de son reste, je sais qu’il est ma proie et qu’il ne m’échappera pas ! En effet, où irait-il ? À l’étranger, allez-vous dire ? Un Polonais se sauvera à l’étranger, mais pas lui, d’autant plus que je le surveille et que mes mesures sont prises en conséquence. Se retirera-t-il dans l’intérieur du pays ? Mais là habitent des moujiks grossiers, des Russes primitifs, dépourvus de civilisation ; cet homme éclairé aimera mieux aller en prison que de vivre dans un pareil milieu, hé ! hé !

D’ailleurs, tout cela ne signifie rien encore, c’est l’accessoire, le côté extérieur de la question. Il ne s’enfuira pas, non-seulement parce qu’il ne saurait où aller, mais encore, et surtout, parce que, psychologiquement, il m’appartient, hé ! hé ! Comment trouvez-vous cette expression ? En vertu d’une loi naturelle, il ne fuira pas, lors même qu’il pourrait le faire. Avez-vous vu le papillon devant la chandelle ? Eh bien, il tournera sans cesse autour de moi comme cet insecte autour de la flamme ; la liberté n’aura plus de douceur pour lui ; il deviendra de plus en plus inquiet, de plus en plus ahuri ; que je lui en laisse le temps, et il se livrera à des agissements tels que sa culpabilité en ressortira claire comme deux et deux font quatre !… Et toujours, toujours il tournera autour de moi, décrivant des cercles de plus en plus resserrés, jusqu’à ce qu’enfin, paf ! Il volera dans ma bouche et je l’avalerai ; c’est fort agréable, hé ! hé ! Vous ne croyez pas ?
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Tous les législateurs, les fondateurs de l’humanité, à commencer par les plus anciens, et en continuant par les Lycurgue, les Solon, les Mahomet, les Napoléon, etc., que, tous, du premier au dernier, ils étaient criminels, par le seul fait, déjà, qu’en donnant une nouvelle loi, ils enfreignaient l’ancienne que la société considérait comme sacrée, et qui leur venait de leurs pères, et que, bien sûr, ils ne reculaient pas devant le sang (un sang parfois tout à fait innocent et que leurs adversaires versaient avec courage pour conserver la loi ancienne), si seulement le sang pouvait les aider. Ce qui est remarquable, même, c'est que la plus grande partie de ces bienfaiteurs et de ces fondateurs de l'humanité a toute versé des torrents de sang incroyables. Bref, je conclus que tous, je ne dis pas seulement les grands hommes, mais tous les hommes qui sortent un tant soit peu de l'ornière, c'est-à-dire tous ceux qui sont capables de dire ne serait-ce qu'une seule petite parole nouvelle, doivent, par nature, obligatoirement, être des criminels.
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La vérité, elle vient à force de mentir ! je mens donc je suis un homme, ou une femme. Jamais on n’a trouvé aucune vérité avant d’avoir menti quatorze fois et, peut-être même cent quatorze et, ça c’est honorable dans son genre. Le problème c'est que nous ne savons même pas mentir avec notre propre cervelle! Alors mon amour, mens comme tu veux mais mens à ta façon et moi je t’embrasse. Un mensonge bien à soi, c’est déjà presque mieux qu’une vérité entièrement à une autre. Qu’est-ce qu’on est, nous, en ce moment ? Nous tous, sans exception, pour ce qui est de la science, du développement, de l'art, de la pensée, des inventions, des idéaux, des désirs et du libéralisme et de tout et de tout et de tout et de tout ?
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Assez ! prononça-t-il d'un ton résolu et solennel, ça suffit, les mirages, les peurs qu'on se fait à soi-même, ça suffit, les fantômes !... La vie existe ! Est-ce que je ne viens pas de vivre ? Ma vie, elle n'est pas morte avec la sale vieille ! Que le bon Dieu ait son âme et - ça va comme ça, la vieille, dormez en paix ! Le règne de la raison et de la lumière, maintenant, et… de la volonté, et de la force… et, on verra bien, maintenant ! Maintenant, on peut se mesurer ! ajouta-t-il d'un ton hautain, comme s'il s'adressait à une espèce de force obscure et qu'il la défiait. Et moi qui acceptais de vivre dans un archine d'espace !
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Les locataires, les uns après les autres se pressèrent à nouveau vers les portes avec cette étrange sensation de contentement qu'on note toujours, même chez les gens les plus proches, quand un malheur soudain survient à leurs intimes, une sensation qui n'épargne personne, sans exception, malgré les sentiments les plus sincères de regret et de compassion.
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