Envoûtement de sauts vertigineux dans un passé moyenâgeux, montée de l'inquiétude des retours de plus en plus chaotiques dans le réel, fascination de ce petit coin de Cornouailles si admirablement décrit, ce roman s'avère difficile à lâcher même si la multiplicité des personnages du XIVe siècle rend quelques passages plutôt ardus.
C'est en pleine expérience, après avoir ingurgité une drogue préparée par son ami biophysicien Magnus, que Richard, notre narrateur, commence son récit. Tous ses sens sont en éveil, excepté celui du toucher, et il admire les modifications du paysage. Vallée, bras de mer, falaises, estuaire nous émerveillent à travers son regard et l'on s'engouffre avec lui, descendant vers la mer.
L'arrivée d'un cavalier, que notre propre curiosité poussera à suivre aux côtés de Richard, nous mènera, plusieurs doses de drogue plus tard, à un complot, des tromperies, des pièges, des amours clandestins dans les années 1330.
Mais après le premier voyage, c'est le retour à Kilmarth, la maison que Magnus a prêtée à Richard pour les vacances, ayant eu soin quelques jours plus tôt de lui avoir transmis la curiosité de tester la drogue entreposée dans la veille buanderie du sous-sol. Étrange endroit que
Daphné du Maurier a doté des caractéristiques incontournables avec ses étagères emplies de flacons et bocaux où des spécimens nagent dans des solutions chimiques.
La drogue en question « a un effet extraordinaire sur le cerveau » lui avait dit Magnus et, à la différence des autres drogues hallucinogènes déjà existantes, elle donnait accès à un monde réel, celui du passé. Mais il lui fallait l'essai de quelqu'un d'autre, un cobaye, pour être certain que la même expérience se produirait.
Le lendemain, le temps étant à la pluie, la morosité de la journée pousse Richard à renouveler l'expérience. Ou bien est-ce déjà l'addiction à la drogue, une curiosité immodérée ? Comment résister à la suite de l'histoire de la belle Isolda ? Les déplacements se multiplient, notre narrateur se laisse prendre dans cette toile tissée dans un autre monde. Mais sa situation réelle vient s'interposer à Kilmarth. Sa femme vient le rejoindre en vacances alors qu'une confusion entre passé et présent commence à se manifester dans son cerveau.
Bien sûr, ces sauts dans le passé sont du registre de la science-fiction, mais je n'ai pas du tout eu l'impression de lire une histoire complètement irréelle puisque ce passé a bien eu lieu, à cet endroit précis. le travail historique sur ce roman est indéniable, le monastère qui appartenait à un ordre français, le manoir où Roger, le cavalier, est intendant, et tous les autres, ont bel et bien existé au Moyen-âge. Les représentations des lieux, avec toutes les transformations opérées par les siècles, ancrent encore davantage cette histoire dans un réalisme tout à fait concevable.
On comprend vite que Richard est en pleine incertitude professionnelle et familiale, qu'il désire s'éloigner de cette existence qui lui pèse. Est-ce pour cette raison que, petit à petit, même sans être sous l'emprise de la drogue, ses pensées s'attardent de plus en plus dans l'autre monde ?
J'attendais à chaque fois les retours au présent qui différaient immanquablement, entretenant un suspense irrésistible. L'évolution, bien progressive, de l'esprit confus de Richard donne un fil à suivre absolument captivant.
Et puis, qu'en est-il de la dangerosité de cette drogue ? Gommera-t-elle au final tout sens de la réalité ? Quelle ampleur prendra sa dépendance et quel danger guettera notre cobaye ?
Le cadre, si cher à l'auteure, ajoute une beauté séduisante et enchanteresse à ce roman. La superposition des lieux que Richard tente de faire à chaque saut dans le temps est une prouesse dont on ne se lasse pas,
Daphné du Maurier excellant à décrire les Cornouailles, celles d'hier et celles d'aujourd'hui.