Notre amie sur Babelio,
Corinne Dufosset, a réussi à brosser le portrait très vivant et réaliste d'un marginal ou d'un échoué de notre société moderne. Et au-delà de ce SDF toute une équipe de personnages qui peuplent nos villes, mais que nous ne connaissons pas et que, pour être honnête, nous n'avons par ailleurs aucune intention de connaître.
Pour décrire un tel milieu tout dépend du juste ton. Sinon l'on risque la caricature d'une façon ou d'une autre. Il est impératif en d'autres termes que ces personnes soient réelles et non pas de pures projections intellectuelles, sans âmes.
Du protagoniste principal du roman, appelé Monk, on sait qu'il est grand (1,90 mètre) et fort, a une trentaine d'années, porte sa touffe de cheveux drus en queue-de-cheval et affiche un regard perçant avec des yeux d'un bleu très clair.
Mais d'où il vient exactement et ce qu'il a fait avant de venir déambuler à Paris, l'auteure ne dit quasiment rien. Et bien que je suis d'une nature curieuse, comme la plupart des lecteurs je présume, je trouve que
Corinne Dufosset a totalement raison de respecter sa "privacy" ou intimité, seule possibilité pour la lectrice et le lecteur d'observer Monk se comporter et agir sans un jugement de valeur basé sur un fait ou événement du passé.
Dans une splendide phrase l'auteure nous présente son héros comme un "voyageur immobile attendant son train de l'infini" (page 13).
Monk "habite" sous une vieille tente de l'armée, à l'abri de toilettes publiques et d'un téléphone public et pas trop loin de la Seine. La soif et surtout la faim, tout comme l'envie de fumer l'obligent à quitter sa "résidence". Il arpente ainsi la Ville Lumière par tous les temps et dans tous les sens. Comme le note l'auteure : "marcher, marcher, marcher, par habitude, par lassitude, par hébétude. Les yeux fureteurs, inquisiteurs".
Pour avoir une idée où Monk se balade, je vous suggère de jeter un coup d'oeil sur les splendides photos prises par
Corinne Dufosset, qui est aussi une photographe artistique de talent, de sa ville de Paris sur > https://500pix.com > corinnedufosset < On peut y admirer la Seine, des prises originales de la Tour Eiffel et.... des chats errants.
Quoique Monk soit un loup solitaire, de temps à temps il se trouve en compagnie d'autres bohèmes. le plus pittoresque parmi ces clodos est sûrement le dénommé l'Empailleur, qui a une dizaine d'années de plus que Monk, est robuste mais court sur pattes, et manifeste éternellement une exubérance joyeuse. Cet énergumène occupe une place centrale dans ce petit monde parallèle, car il en est le fournisseur attitré. L'homme peut livrer tout et n'importe quoi, qu'il s'agisse de cigarettes à Monk ou un caddy à l'antique clocharde, rebaptisée "Chiffons", qui trimbale partout un assortiment invraisemblable de paquets, sacs et cartons. Puis, il y a Nestor, Lunettes etc. Sans oublier le jeune "Renifleur", qui a le nez qui coule constamment et qui tombe amoureux de Lulu aux yeux clairs et nez retroussé.
La langue hautement littéraire de
Corinne Dufosset m'était déjà connue de son ouvrage : "
Dante suivi d'Ereignis et l'Autel" que j'ai lu et critiqué il y a presque 3 ans, le 30 juin 2017. Si dans ce livre le style lyrique et poétique m'avait frappé, dans "
L'Abyssinie" c'est avant tout la finesse de son évocation psychologique des personnages. Cerner un caractère inhabituel comme son héros Monk est loin d'être simple et pour le faire sans fausses notes il faut une solide dose de brio !
C'est avec conviction que je recommande la lecture des déambulations à Paris pendant 4 saisons d'un homme en marge, replié sur son propre univers.
À propos des saisons, "plus aucune saison ne trouvait de grâce à ses yeux. Il (Monk) en avait perdu le goût. de toute façon, les saisons étaient contre ceux qui n'avaient rien". (page 71).