Ce sont les éditions de L'Harmattan qui publient ces vingt-deux nouveaux poèmes de
Christian Dumotier dans la Collection « Témoignages Poétiques » qui se présente sans détours :
« Parce que la langue poétique, lorsqu'elle revêt le visage de témoin, constitue une exploration. Parce qu'elle explore l'intime. Parce qu'elle épouse une fonction dénonciatrice. Accueillons ces textes qui nous aident à cheminer, à modifier notre regard ».
Tout est dit dans ces quelques mots qui pourraient être signés par
Christian Dumotier, tant ses propres mots sont frères de cette visée éditoriale.
L'harmattan est un « vent du nord-est, très chaud le jour, plus froid la nuit, très sec et le plus souvent chargé de poussière ». Les « bannis » que le lecteur croise, ce sont ces femmes, ces hommes, ces enfants, qui vivent dans une poussière de tragédie, dans le trop chaud et le trop froid, là où ils n'ont souvent même pas un nom, à force de n'être appelés par personne.
Ce sont ces regards que nous n'osons souvent même par croiser. Ces mains tendues auxquelles nous n'osons pas ne pas donner une pièce, mais sans vouloir en savoir plus. « Ces Gueux, ces méprisés, ces invendus », qui pourtant « ont la vie au bout des lèvres », parce que « dans la rue, sur les rond-points, les gueux ont découvert qu'ils étaient des hommes ».
La misère n'a pas de frontière. C'est peut-être en Amérique du Sud qu'elle s'est imposée à Christian, dont la voix tremblerait encore lorsqu'il parle de cette femme endormie dans une rue du Brésil, entre deux matelas, l'enfant encore accroché à son sein. Lui qui écrivait depuis le lycée, poussé par ce prof' de français qui avait perçu son talent, lui dont les premiers textes poétiques étaient des déclarations d'amours aux belles de son adolescence, l'injustice de la rue l'a frappé de plein fouet, et il n'a plus jamais pu s'arrêter. Les mots viennent tous seuls, le constat et la dénonciation s'imposent.
Les bannis,
ce sont ces Clandestins, dont « les corps mêlés formaient une tresse vivante et gémissante » ;
c'est cet enfant-soldat « chaque jour a tué, torturé, mutilé, obéi, commandé, sucé son pouce, détricoté ses larmes » ;
ce sont les quarante-mille femmes et hommes qui vivent à Agbogbloshie, cette ville du Ghana où s'accumulent dans l'illégalité la plus totale les déchets d'équipements électriques et électroniques en provenance de pays industrialisés ;
c'est ce « parisien noir, « en attente de graines de respect, dont la peau dessine les moirés du Cap ou de Bamako » ;
ce sont tous ceux pour qui, avant de vivre, il s'agit seulement de survivre.
Le constat est sans concession, sans condescendance, sans compassion inutile, voire perverse. Sans la moindre violence de vocabulaire, il sait seulement dénoncer et accuser. Sans appel, sans circonstances atténuantes, sans excuses.
Mais aussi sans jamais tomber dans le défaitisme : « le luxe des mots du coeur » est presque toujours là pour dire qu' « après le rien, après l'oubli, après l'absence, après la fuite, il a la renaissance ». Marianne un jour renaîtra, comme un crocus étonné ».
Dis donc, lecteur, si le crocus, c'était toi ?