À force de faire parler les morts,
Clara Dupont-Monod risque de lasser…
Éblouie par
La passion selon Juette, je me faisais une joie de lire
le roi disait que j'étais diable : le Moyen Âge,
Aliénor d'Aquitaine, un auteur que j'aime, tout était réuni pour me plaire… Cependant, ce qui m'avait conquise dans
La passion selon Juette, à savoir un récit à deux voix entre Juette et son ami moine Hugues de Floreffe, m'a déçue ici par son goût de déjà-lu. Car l'auteur emploie exactement le même procédé, faisant s'exprimer tour à tour la jeune Aliénor et son mari Louis VII. J'ai également retrouvé dans la personnalité d'Aliénor la colère qui animait Juette, car elle aussi doit épouser un homme qu'elle n'aime pas.
Mais la colère chez Aliénor est plus profonde, c'est sa raison de vivre : elle ne rêve que de guerre et de puissance car elle est de la race des conquérants. « Avec la colère, le paysan devient roi. le puissant se fait pantin. La joie, elle, ne renverse rien. » (p. 14) En face, ce pauvre moinillon de Louis, poussé sur le trône de France par la mort inopinée de son frère aîné, n'est pas fait pour gouverner ni pour être l'époux d'une femme aussi déterminée, une « sorcière qui a grandi en écoutant des textes obscènes, tandis que le roi, ce sage, s'est nourri des phrases sacrées. » (p. 58) Pusillanime, manipulé par ses conseillers, la seule décision que Louis arrive à prendre seul est catastrophique et signe la sanglante déroute des croisés en Terre sainte. C'est alors l'oncle d'Aliénor, Raymond de Poitiers, seigneur d'Antioche, qui prend la parole pour relater ce désastre et offrir un épilogue, comme si l'auteur n'arrivait pas à s'en sortir avec ses deux narrateurs précédents.
Ce livre a des qualités, bien sûr, à commencer par la documentation sur l'époque : la première moitié du XIIᵉ siècle et la deuxième croisade. L'écriture est belle, avec des phrases courtes et acérées qui sont la signature de
Clara Dupont-Monod. Mais si le texte est savoureux, je n'ai pas été emportée par cette histoire. Car ni Aliénor, trop dure, ni Louis, trop faible, n'est aimable. de plus, du point de vue historique, je n'ai pas eu mon compte, car le récit se concentre sur les jeunes années d'Aliénor, depuis son mariage à 13 ans avec Louis jusqu'à sa rencontre, quinze ans plus tard, avec Henri Plantagenêt. Cette biographie tronquée ne donne pas la véritable mesure de cette femme exceptionnelle, deux fois reine - de France, puis d'Angleterre - et mère de 10 enfants. En ce sens, la biographie de
Régine Pernoud, quoique de facture classique, est beaucoup plus instructive.
J'espère que
Clara Dupont-Monod nous surprendra dans ses prochains romans.
*** Livre sélectionné pour le prix Libraires en Seine 2015 ; prix décerné à Jacob, Jacob ***