Elle retrouve ce qu'elle a dit en dormant. Elle a parlé du temps qui passe dans la chambre. Elle aimerait bien savoir comment dire cette envie de retenir contre soi ce temps qui passe, visage contre visage, corps contre corps, serrés. Elle dit qu'elle parle de ce temps entre les choses, entre les gens, celui que les autres gens jettent, sans importance pour eux, eux ces gens perdus. Mais elle dit que c'est peut-être de ne pas en parler qui fait se produire ce temps-là qu'elle, elle cherche à gagner.
Elle est là, mélangée avec les couleurs, et l'ombre, toujours triste de quelque mal qu'elle ne sait pas. Née comme ça.
Pour elle il est aussi inconnu que s'il n'était pas né.
Elle est dans l'ombre, séparée de la lumière. Le lustre gainé de noir n'éclaire que l'endroit des corps. L'ombre du lustre fait les ombres différentes. Le bleu des yeux et le blanc des draps, le bleu du bandeau et la pâleur de la peau se sont couverts de l'ombre de la chambre, celle du vert des plantes du fond des mers. Elle est là, mélangée avec les couleurs, et l'ombre, toujours triste de quelque mal qu'elle ne sait pas. Née comme ça. Avec ce bleu dans les yeux. Cette beauté.
Elle dit que c'est le contraire, qu'elle ne peut pas l'oublier. Que du moment que rien ne se passe entre eux, la mémoire reste infernale de ce qui n'arrive pas
Les cheveux sont noirs et les yeux sont de la tristesse d'un paysage de nuit.
Elle dit : Ce n'est pas quand j'ai les yeux ouverts dans la direction de votre visage que je vous vois comme vous avez peur que je le fasse, c'est quand je dors
La salle serait dans le noir, dirait l'acteur. La pièce commencerait sans cesse. A chaque phrase, à chaque mot.
Les acteurs pourraient ne pas être des acteurs de théâtre. Ils devraient toujours lire le livre à voix haute et claire, se tenir de toutes leurs forces exempts de toute mémoire de l'avoir jamais lu, dans la conviction de n'en connaître rien, et cela chaque soir. Les deux héros de l'histoire occuperaient la place centrale de la scène près de la rampe. Il ferait toujours une lumière indécise, sauf à cet endroit du lieu des héros où la lumière serait violente et égale. Autour, les formes vêtues de blanc qui tournent.
Elle dit aussi que l'amour peut aussi bien venir de cette façon, à écouter dire de quelqu'un d'inconnu comment étaient ses yeux.
Elle le regarde. C'est ainsi qu'elle le voit en son absence, tel qu'il est là. Plein d'images muettes, ivre de souffrances diverses, du désir de retrouver un objet perdu aussi bien que d'en acheter un qu'il n'a pas encore et qui devient tout à coup sa raison d'être, cet habit, cette montre, cet amant, cette voiture. Où qu'il soit, quoiqu'il fasse, toujours un désastre à lui tout seul.