Mieux vaut pas payer pour de l'amour
Elle retrouve ce qu'elle a dit en dormant. Elle a parlé du temps qui passe dans la chambre. Elle aimerait bien savoir comment dire cette envie de retenir contre soi ce temps qui passe, visage contre visage, corps contre corps, serrés. Elle dit qu'elle parle de ce temps entre les choses, entre les gens, celui que les autres gens jettent, sans importance pour eux, eux ces gens perdus. Mais elle dit que c'est peut-être de ne pas en parler qui fait se produire ce temps-là qu'elle, elle cherche à gagner.
Pour elle il est aussi inconnu que s'il n'était pas né.
Elle est là, mélangée avec les couleurs, et l'ombre, toujours triste de quelque mal qu'elle ne sait pas. Née comme ça.
Elle a cette couleur d’yeux et de cheveux des amants qu’il désire : ce bleu-là des yeux lorsque les cheveux sont de ce noirs. Et cette peau blanche que le soleil n’atteint pas
Elle veut entendre comment il aimait cet amant perdu. Il dit : Au-delà de ses forces, au-delà de la vie. Elle veut entendre encore. Il redit.
Elle recouvre son visage de la soie noire, il s’allonge près d’elle. Rien de leurs corps ne se touche. Leur immobilité est commune. Elle répète avec sa voix à lui : Au-delà de ses forces, au-delà de la vie.
Tout à coup, dans le tissu de univers, à l'endroit de cette petite étendue de votre visage il s’est produit une faiblesse soudaine de la trame, mais à peine, à peine l’accroc d'un ongle dans un fil de soie. Elle dit que sa folie vient peut-être de ce que l’autre nuit, pendant qu'il dormait, elle avait perçu -en meme temps que cette différence de destination entre ce visage et le tout de l'univers- l’identité du sort qui leur était réservé, à savoir qu'ils étaient emportés ensemble et broyés de la même fagon par le mouvement du temps, cela jusqu'a la trame lisse de l'univers de nouveau obtenue.
Elle pleure. Elle ne peut pas s'arrêter de pleurer. Elle dit : Je vous ai cherché dans la ville.
Elle a eu peur. Elle l'a vu mort. Elle ne veut plus venir dans la chambre.
Il va près d'elle, il attend. Il la laisse pleurer comme s'il n'était pas la cause des pleurs.
(p. 120)
Elle dit que c'est le contraire, qu'elle ne peut pas l'oublier. Que du moment que rien ne se passe entre eux, la mémoire reste infernale de ce qui n'arrive pas
Je n’ai pas voulu attendre aussi longtemps que lui le désirait. Je lui ai demandé d’aller vite, et fort. Nous avons cessé de parler. La jouissance est arrivée du ciel, nous l’avons prise, elle nous a supprimés, elle nous a emporté pour toujours et puis elle s’est évanouie.