Quand vous vous penchez, cette fleur frôle le contour extérieur de vos seins. Vous l'avez négligemment épinglée, trop haut. C'est une fleur énorme, vous l'avez choisie au hasard, trop grande pour vous. Ses pétales sont encore durs, elle a justement atteint la nuit dernière sa pleine floraison.
- Lève la tête, dit Anne Debaresdes. Regarde-moi.
L'enfant obéit, accoutumé à ses manières.
- Quelquefois je crois que je t'ai inventé, que ce n'est pas vrai, tu vois.
L'enfant leva la tête et bâilla face à elle. L'intérieur de sa bouche s'emplit de la dernière lueur du couchant.
- Je voudrais plus apprendre le piano
- Les gammes, dit Anne Desbarèdes, je ne les ai jamais sues, comment faire autrement ?
Anne Desbaresdes resta un long moment dans un silence stupéfié à regarder le quai, comme si elle ne parvenait à savoir ce qu'il lui fallait faire d'elle-même.
"On rit. Quelque part autour de la table, une femme. Le choeur des conversations augmente peu à peu de volume et, dans une surenchère d'efforts et d'inventivités progressive, émerge une société quelconque. Des repères sont trouvés, des failles s'ouvrent où s'essayent des familiarités. et on débouche peu à peu sur une conversation généralement partisane et particulièrement neutre. La soirée réussira. Les femmes sont au plus sûr de leur éclat. Les hommes les couvrirent de bijoux au prorata de leurs bilans. L'un d'eux, ce soir, doute qu'il eût raison."
"La nuit, c'est loin les maisons"
L'homme a lâché les grilles du parc. Il regarde ses mains vides et déformées par l'effort. Il lui a poussé, au bout des bras, un destin.
Anne Desbaresdes boit et ça ne cesse pas, le Pommard continue d'avoir ce soir la saveur anénantissante des lèvres inconnues d'un homme de la rue.
« Vous aurez beaucoup de mal, Madame Desbaresdes, avec cet enfant, […], c’est moi qui vous le dit. / C’est déjà fait, il me dévore. » (p. 16)