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Critique de Charybde2


Réécrit en beauté à l'aune d'une subtile et obstinée résistance féminine, le somptueux envers du décor d'une Odyssée immémoriale.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/10/note-de-lecture-sans-plus-attendre-sylvie-durastanti/

Tôt un matin, la maîtresse de maison a échappé de justesse à un viol, sur un chemin isolé des environs, où elle croisait par mégarde, tout juste levée, l'un des intrus, pas encore couché, ivrognes qui squattent sa demeure, en mangeant et buvant toute la nuit, depuis que le retour de son mari de la guerre en Asie se fait de plus en plus illusoire, alors que tous ses compagnons d'armes – ceux qui ont survécu en tout cas – ont regagné depuis longtemps leur foyer. Avides et lubriques, ces patriciens en goguette et en chasse ne se font pas encore officiellement appeler « prétendants », mais cela ne saurait tarder, et la pression monte.

À travers les yeux et les pensées de la maîtresse de maison et de la servante Éri, principalement, mais aussi, le moment venu, de la traîtresse Méla, espionnant au profit de l'un des envahisseurs dont elle attend de grandes récompenses, d'un Phénicien de passage et d'un certain Mendiant, il s'agit de suivre pas à pas comment se construit, par glissements et par complicités tacites, une authentique résistance face à une culture du viol et de la rapine, entretenue et glorifiée ici par un certain patriarcat sûr de lui et dominateur – jusqu'à un dénouement bien connu, mais dont la marche d'approche aura été ici une véritable révélation.

Ce n'est certes pas la première fois qu'une oeuvre littéraire se propose de mettre au premier plan la figure de l'attente, perpétuellement dans l'ombre et dans l'arrière-plan, que constitue Pénélope dans l'histoire et dans la mythologie.

Loin de la Molly Bloom de James Joyce ou même de l'autre détournement audacieux conduit par le Jean Giono de « Naissance de l'Odyssée », se faufilant entre les nombreux épisodes tissés à son tour par Margaret Atwood, « Sans plus attendre », publié en janvier 2022 chez Tristram, nous offre une réécriture mythographique d'une éclatante simplicité et d'une beauté brute sachant faire oublier le travail minutieux du phrasé et du rythme qui le caractérisent. Glissant avec élégance et en évitant tout anachronisme frontal, comme l'avait pratiqué, dans un registre différent, Carole Martinez dans son « Coeur cousu », Sylvie Durastanti (bien connue comme – grande – traductrice, il s'agit de son premier roman) suggère une lutte féministe ramifiée qui, question d'époque, ne peut pas encore dire son nom, effleure la présence métaphorique de la magie et des sorcières (qui habilleront bientôt pour quelques siècles la ruse féminine, si distincte de celle d'Ulysse – et ce bien que Pénélope ne soit évidemment pas Circé, justement), glisse les motifs d'ingratitude et de misanthropie que Shakespeare réservait à son « Timon d'Athènes », et invente ainsi pour nous une fable immémoriale tissée au plus près de la pratique résistante, un malicieux et terrible envers du décor, rendu bien vivant à nouveau par delà les sédiments accumulés au fil des siècles, envers du décor qui peut nous enchanter et nous glacer du même mouvement, jusqu'à sa somptueuse résolution finale.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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