12 nouvelles qui relèvent pour la plupart de la prospective. (Et si ?)
Je suis plutôt mitigé par ce recueil, d'abord publié en 2005.
En lisant L'Aveuglement, je trouvais que José Saramengo péchait par excès d'effets de style.
Je dirais que l'écriture de
Claude Ecken pèche par excès de précision.
On sent la recherche du mot parfait... à chaque mot. le souci du bon phrasé, de l'expression consacrée. Au prix de la fluidité et de la simplicité.
Il manque souvent de la force au récit, du dynamisme, du tranchant dans le dénouement, de l'émotion.
Sur le fond, ces textes forment un ensemble très intéressant par la présence de thèmes récurrents : transfert de conscience, mondes parallèles, clones, critique de la société.
Les sociétés imaginées par l'esprit fertile de l'auteur flirtent souvent avec la dystopie.
Enfin, la hard-science s'invite régulièrement, et n'est pas toujours très digeste, notamment lorsqu'elle puise directement dans les concepts et les théories de l'astrophysique, dont l'auteur semble particulièrement friand.
Le Monde, tous droits réservés (50p) *
Dans un monde légèrement futuriste, les scoops se monnaient et les droits de diffusion ont un cycle de vie très court. Rien de révolutionnaire, mais l'auteur explore et extrapole à partir de cette idée.
On suit les débuts dans le journalisme d'un jeune homme auquel on colle un vieux de la vieille, chargé de lui transmettre les ficelles du métier. Idéalisme versus sagesse. L'opposition de style et de vision est calquée sur un trope classique des polars.
Côté scénario, pas grand-chose à reprocher : une affaire de corruption on ne peut plus classique.
Un thème intéressant, un schéma narratif fonctionnel et, par-dessus le marché, une écriture impeccable... comment alors expliquer mon mal de crâne ? Je crois que ce texte est emblématique de ce qui arrive lorsqu'on inonde le propose d'un maximum de détails – certes intéressants mais complexes – dans une prose elle-même exagérément riche et subtile. Je me souviens avoir eu cette même sensation de trop-plein à la lecture de Tactique du diable, roman de Lewis C.S. qui s'articule d'ailleurs aussi autour de la formation d'un novice par un vétéran.
Le plaisir de lecture s'est rapidement dissipé et est devenu une lente traversée du désert.
Je pense que balancer un tel texte en début de recueil n'était peut-être pas la meilleure idée.
Sur la réflexion, l'auteur pousse l'idée de libre concurrence des journalistes exacerbée par le droit et l'argent, ce qui le conduit à imaginer une société où l'information brille par sa polyphonie. Idée intéressante, mais qui malheureusement s'accorde mal avec la critique de notre société où l'on déplore plutôt la culture de la pensée unique et sa traduction dans le milieu journalistique : le moutonisme.
Enfin, la conclusion logique mais plate échoue à rehausser l'ensemble.
Pour une vue critique et plaisante sur le monde du journalisme, autant lire Bel-Ami (romanesque et pas si daté), ou l'un des best-sellers de
Serge Halimi.
Thèmes abordés :
Journalisme, corruption
Membres à part entières (10p) ***
Dans une société pensée par des paraplégiques, pour des paraplégiques, disposer encore de ses jambes est-il une chance ou bien... un handicap ?
Le thème abordé est bien sûr le handicap – vécu ou perçu, ou encore traité par la société.
De la critique de moeurs aussi, avec notamment un tacle en règle sur l'archétype de la mauvaise épouse.
Le ton est plaisant, léger. Il y a des pointes humoristiques et d'autres horrifiques fort bien réussies, mais qui ont tendance à s'amoindrir mutuellement.
Cette courte nouvelle aux faux airs dystopiques ne révolutionne pas le genre (le procédé d'inversion est simplissime et éculé) et, malheureusement, on peut prédire la chute finale dès lors que l'auteur précise la cause de l'état actuel de la société. du coup cela aurait sans doute valu la peine de repousser au maximum la divulgation de cette précision.
Cela reste malgré tout une lecture sympathique.
Thèmes abordés :
Handicap, critique de la société, étude de moeurs, humour, horreur
Edgard Lomb, une rétrospective (20p) **
Ce sont les astrobiologistes qui vont être contents ! Réalisant que l'ère de l'essaimage n'était pas demain, des scientifiques ont mis au point un procédé révolutionnaire permettant de viser une zone arbitraire de la galaxie et d'établir un « contact » avec toute créature rencontrant le faisceau. le contact reste limité et suppose l'utilisation d'un cobaye : en cas de succès, les esprits du cobaye et de l'extraterrestre échangent leurs corps respectifs, avec les conséquences qu'on imagine. L'opération semble même réversible, ce qui ouvre la porte à l'usage d'un cobaye humain... et volontaire !
Cette courte nouvelle au thème classique souffre de plusieurs problèmes.
La narration est découpée en séquences de nature et de temporalité différentes, ce qui n'apporte pas grand-chose mais complique la lecture.
Le « bestiaire », dont la description occupe une part importante du texte, fait un peu daté.
Il y a cette fois-ci une vraie chute qui arrive malheureusement au bout d'une course laborieuse, ce qui gâche son potentiel.
Thèmes abordés :
Contact, extraterrestres, compréhension humains-extraterrestres, science, transfert de conscience
L'Unique (50p)
J'ai séché pour cette nouvelle que je ne noterai pas.
À peine quelques pages et déjà, quatre ou cinq personnages identifiés chacun par trois noms, lesquels sont utilisés par le narrateur et les personnages selon des règles dont je ne doute pas de la rigueur, mais que je n'ai pas eu la patience de comprendre.
Par ailleurs, j'ai cru reconnaître les défauts de la première nouvelle du recueil qui m'avait déjà échaudé (refroidi plutôt).
Arrêt des frais !
Thèmes abordés :
Clones
Les Déracinés (10p) **
La révolte d'un petit groupe de cobayes humains dont le corps a subi diverses transformations de nature végétale. Plus tout à fait des hommes, ce sont des dendroïdes !
Un côté X-men (on pense à Wolverine quand il sort de sa cuve).
De bonnes idées et une lecture plaisante, mais je trouve que le format est mal choisi. Un texte plus long aurait permis de développer de façon plus satisfaisante l'action (l'essentiel du propos). D'un autre côté, la chute choisie paraît un peu ridicule ici et aurait sans doute brillé davantage dans un texte plus court, façon Sternberg.
Thèmes abordés :
Phytobiologie, mutants, science
Esprit d'équipe (10p) **
Quand la technologie offre la possibilité de disposer de clones de soi-même pour effectuer les moins gratifiantes de ses tâches, pourquoi s'en priver ? Léon Spartezar va l'apprendre à ses dépens, emporté malgré lui dans une folle course-poursuite.
Une énième déclinaison du thème fécond des clones.
Pas vraiment de critique sur ce texte, mais je ne peux pas dire qu'elle m'ait emballé.
Thèmes abordés :
Clones, transfert de conscience
Fantômes d'univers défunts (40p) **
La première moitié est un Friends avec trois fois plus de personnages. La cacophonie résultante est une raison tentante d'abandonner la lecture. À celle-ci s'ajoute un sujet de débat récurrent chez les jeunes gens autour de l'astrophysique : les concepts font penser à quelque chose de sérieux, mais quand on réfléchit cinq secondes les arguments sont complètement farfelus.
En réalité, le propos apparaît dans la deuxième partie, qui va éclairer la raison d'être de ces débats étranges. Si les arguments restent farfelus, du moins s'inscrivent-ils dans une explication globale plus ou moins cohérente.
Des pistes de réflexion intéressantes, notamment avec une belle métaphore de la colonisation.
Thèmes abordés :
Astrophysique, mondes parallèles, colonisation, transfert de conscience
La bête du recommencement (10p) ****
À ne pas confondre avec la Bête de l'événement.
Si l'invocation de cette dernière résulte habituellement de l'usage de divers psychotropes, la Bête du recommencement EST le psychotrope. Un psychotrope autrement plus puissant puisque, selon la rumeur, il donne à celui qui l'essaie le pouvoir de modifier son passé.
Première nouvelle du recueil vraiment maîtrisée selon moi. Une bien belle surprise.
L'avalanche de noms propres exotiques peut effrayer, mais on comprend vite que l'effet recherché se cantonne à induire l'impression d'un monde extraterrestre complexe à moindres frais, et ça fonctionne très bien. Une technique parfaitement adaptée à ce format court.
La chute est tout à fait correcte, mais je m'attendais à quelque chose de plus marquant, dommage. Dans ce genre, L'Hypnoglyphe, de
John Anthony reste à mon avis inégalé.
Thèmes abordés :
Voyage temporel
En sa tour, Annabelle (10p) ***
Annabelle ne souffre que d'une tare : elle s'exprime par phrases énigmatiques, poétiques... et tout à fait incompréhensibles. Pour les connaisseurs, cela ressemble aux définitions du jeu Contrario !
C'est un très beau texte, sorte de conte poétique mélancolique. Seule ombre au tableau, la chute : fade et convenue, quoique dans le ton.
Thèmes abordés :
Différence, amitié
Éclats lumineux du disque d'accrétion (60) ***
Dans un futur proche, les banlieues sont devenues un véritable lieu clos où sont confinés les citoyens de seconde zone, plus du fait d'une politique active de ghettoïsation que du délabrement naturel.
Le genre est archiclassique, les thèmes (critique et dérive de notre société) vus et revus, et pourtant l'auteur parvient facilement à nous happer dans son univers.
Le texte est construit comme un roman choral. S'ouvrir aux différentes trames nécessite un petit effort, mais globalement ce n'est pas si difficile car l'histoire reste linéaire et les personnages, tous liés les uns aux autres, se succèdent logiquement dans la narration. Il se dégage de l'ensemble une dynamique très forte, comme en spirale, et la progression de l'histoire s'accorde magnifiquement avec ce mouvement jusqu'à la convergence irrésistible à laquelle on assiste lors du dénouement.
Sur la forme, on remarque vite la présence de courts textes qui viennent s'intercaler dans l'histoire. Cette trame secondaire décrit le cycle de vie des trous noirs. Aucun rapport a priori, mais c'est justement là que réside l'intérêt : découvrir le lien entre les trous noirs et l'histoire principale. Malheureusement, je dois dire que le parallèle en question ne m'a pas convaincu. Un peu trop tiré par les cheveux. Rétrospectivement, c'est pire encore : étirer une image et l'éparpiller dans un texte ne la rend pas meilleure. Petite consolation : l'auteur offre un parallèle secondaire dans la trame de la rousse. OK ça ne vole pas très haut, mais c'est concret et on comprend bien l'idée !
Bref, je pense que ce texte amputé du discours autour des trous noirs ferait une excellente nouvelle, car pour le reste, l'auteur développe efficacement sa critique tout en assurant le spectacle. Un seul bémol : la députée se la joue comme Hugh Grant dans Love Actually. On applaudit, mais l'absence de crédibilité affaiblit la noirceur du récit et la force de la critique.
Thèmes abordés :
ghettoïsation, politique, dystopie, travail, lutte des classes, critique de la société
La dernière mort d'Alexis Wiejack (10p) ***
Que dit une société qui n'accepte pas la mort ? « Accepter » au sens figuré, mais aussi au sens propre...
Un peu d'action (bien rendue), mais l'intérêt se situe surtout dans les thèmes développés et dans la société décrite.
La séquence initiale se concentre sur un aspect psychologique en particulier et le décalage entre Wiejack et ses coéquipiers sur ce point. C'est intéressant et prometteur, mais sans lien avec le reste du récit... dommage.
Thèmes abordés :
mort, suicide, critique de la société, dystopie, clones, immortalité
La fin du Big Bang (60p) **
Un jeune homme apprend à vivre avec dans sa tête la mémoire de mille autres vies.
Probablement le texte le plus difficile du recueil sur le plan hard-SF.
On y parle Big-Bang et univers parallèles, et les personnages passent leur temps à conjecturer et théoriser sur ces concepts.
Cette nouvelle donne une idée du niveau de connaissances de l'auteur en astrophysique ou dans la physique quantique. Malheureusement, le ticket d'entrée est élevé, et
Liu Cixin n'est pas là pour nous prendre par la main !
Thèmes abordés :
Univers parallèles, Big-Bang, transfert de conscience