L'héroïne a trente ans, elle est désormais enseignante et s'est mariée. La famille s'est agrandie car le couple a deux enfants. Tout va bien en apparence dans sa vie. Son mari a fini ses études et il est à présent devenu cadre et gagne bien sa vie. Ils vivent à Annecy une jolie ville, dans un appartement agréable, pourtant, alors qu'elle a "tout pour être heureuse" elle se rend compte que jour après jour qu'elle prend de moins en moins de plaisir à vivre même si elle adore ses enfants et son travail. Son quotidien est une course permanente pour arriver à s'en sortir avec tout ce qu'elle a à faire. Son implication dans la vie domestique est trop forte (les courses, les enfants, les repas à préparer...), et se rajoute à son travail qui lui demande aussi des préparations et des corrections. de plus, son mari lui fait des reproches comme si elle n'en faisait pas assez, elle doit être parfaite alors qu'elle n'y arrive plus.
Dans
les années 60, il fallait être une "superwoman". Mais elle se révolte en prenant conscience que les hommes ont tous les plaisirs, et les femmes si peu, alors qu'elle n'était en rien préparée à ça, ni par son éducation, ni par les figures féminines de sa famille. Sa mère lui a en effet toujours répété que par les études elle atteindrait la liberté mais elle, ce qu'elle vit mal, c'est la solitude et la surcharge de travail quotidien, c'est d'être une "femme gelée".
Au passage, l'autrice nous parle de son enfance, des années heureuses de son point de vue, malgré les punitions et les cris...et l'éducation rigide et simple qu'elle a reçue.
Ses parents étaient différents. Sa mère ne se laissait pas marcher sur les pieds. Elle avait beaucoup de responsabilité dans sa vie professionnelle puisqu'elle tenait un commerce. Elle lui a donné le goût de la lecture car elle aime lire et le goût des études. Son "père-enfant" comme elle aime l'appeler, faisait sa part en cuisinant, en s'occupant de sa fille qu'il adorait et cela était réciproque, il était tendre et aimant, émerveillé d'avoir une fille, affolé par ses retards, ses maladies, sa fragilité. Ses parents se partageaient donc sans problèmes, les différentes tâches domestiques ce qui surprenaient beaucoup ses copines de l'époque.
Alors bien entendu, rien ne la préparait à vivre ensuite une vie de frustration une fois mariée. Rien ne la prédisposait à devenir la femme qu'elle est devenue aujourd'hui.
Toutes les femmes de la famille ont été des femmes fortes, au caractère bien trempé, combatives et indépendantes.
Elle aussi va le devenir, bien malgré elle ! Pourquoi les femmes dans la grande majorité des cas sont celles qui ont renoncé à leurs rêves ?
Publiée en 1981, "
la femme gelée" est le troisième roman d'
Annie Ernaux si l'on considère les dates de publication.
Elle le dédie à "Philippe" son premier mari et père de ses deux enfants, alors que le couple est en plein divorce. le thème central de ce texte écrit comme un journal intime, est bien celui de l'inégalité entre les hommes et les femmes dans notre société.
Je ne crois pas me tromper en disant que malgré les progrès effectués ces dernières années, ce roman autobiographique n'a pas pris une ride et que de nombreuses femmes même parmi les jeunes, s'y reconnaitront aisément.
C'est avec des mots simples que l'auteur nous offre ce beau récit, qui est quasiment une étude sociologique des années 60.
C'est une lecture féministe. Souvent, je repense à ce que je disais à mes copines dans
les années 80 justement, quand elles se plaignaient du manque de participation de leur mari alors qu'elles travaillaient et n'arrivaient pas à mener de front vie professionnelle et vie au foyer. Sans entrer dans les détails personnels, je leur disais que c'était à elle de changer l'éducation de leurs garçons...mais à cette époque, elles-mêmes les maternaient trop, faisaient tout à leur place sans leur donner ni responsabilité, ni envie de devenir plus autonomes en ce qui concernait les choses matérielles.
En découvrant ce récit, les lecteurs pourront se questionner sur les avancées en matière de répartition des tâches, l'éducation des enfants, ce qu'on appelle aujourd'hui la "charge mentale"_ le travail domestique donc_ indispensable pour faire fonctionner la vie familiale.
On s'aperçoit très vite que l'émancipation des femmes a des limites, elles veulent travailler et certes les conjoints l'acceptent, mais rien ne doit changer pour autant dans leur vie, dans leur petit confort quotidien, dans leur liberté d'action. Les chiffres le montrent encore aujourd'hui, il n'y a aucune révolution dans la répartition des tâches quotidiennes, même si les jeunes générations partagent davantage c'est à la femme que revient toujours la plus lourde tâche à partir du moment où naissent les enfants.
Avec son style bien à elle, qui va droit au but, son écriture simple et sans fioriture, mais avec beaucoup de lucidité, et un certain recul qui rend ses propos universels, l'autrice nous offre encore une fois un texte très fort à lire et relire. J'ai aimé le relire. Ses doutes et ses interrogations sont très émouvants et ne peuvent que nous toucher.
Un roman autobiographique qui s'adresse donc à tous les femmes d'hier et d'aujourd'hui, jeunes ou plus âgées et à tous les hommes.
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