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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Des aspirations de l'enfance pour l'aventure et la curiosité, aux élans de l'adolescence pour la passion et la liberté, une fois mariée, elle devra les délaisser, car l'homme travaille et veut manger, dans une maison propre et bien rangée, avec des enfants calmes et bien élevés. C'est une femme gelée.

Élevée à Yvetot, au coeur de la Normandie, Annie Ernaux garde une image particulière des femmes de sa vie. Loin du modèle urbain de la petite fée du logis, ces femmes des champs ne ressemblent en rien aux images de papier glacé des magazines qu'elle dévore avidement. Ce ne sont « pas des femmes d'intérieur, rien que des femmes du dehors ».
Très tôt assignées aux travaux des champs, trop tôt engrossées. Trop vite « la marmaille » : six, sept, huit, dix mômes. « Un truc de pauvres », dont elle prendra conscience plus tard, peu à peu. Annie Ernaux vient d'un milieu modeste et paysan, avant que ses parents ne deviennent ouvriers, puis commerçants.

La petite fille apprend ses leçons : « papa-part-à-son-travail », « maman-reste-à-la-maison », « elle-fait-le-ménage », « elle-prépare-un-repas-succulent ». Des phrases rabâchées, qu'elle apprend par coeur comme toutes ses leçons, mais qui ne correspondent en rien à la réalité qu'elle connaît, car son père ne part pas au travail, mais sert au café et à l'alimentation et fait même la vaisselle ainsi que la cuisine. Quant au ménage, sa mère s'en occupe quand elle a le temps, c'est-à-dire pas souvent.

Ses parents travaillent d'arrache-pied pour se sortir de leur condition et accompagner leur petite fille vers une vie meilleure. Loin encore du modèle social bourgeois de la femme au foyer, qui tient sa maison au carré, élève ses enfants, et laisse son mari travailler.
Protégée du rôle d'aide-ménagère que connaisse déjà ses camarades, sa mère veillera à toujours lui laisser le temps de s'épanouir dans la curiosité et la découverte artistique, persuadée qu'elle est que seule la connaissance et la pensée libérée l'amèneront vers une bonne situation et lui permettront de se soustraire au « pouvoir des hommes ».

« Je suis allée vers les garçons comme on part en voyage. Avec peur et curiosité. ». Annie Ernaux ne cache rien de ses émois physiques ni de ses passions intellectuelles pour mieux appréhender sa condition de femme telle qu'elle l'a vécue. Car évidemment, l'idéal dont elle rêvait ne se réalisera pas avec le premier et grand amour, malgré les points communs, les fous rires partagés en changeant le premier bébé. La vie de couple une fois entérinée, le mariage une fois prononcé, ramènera vite dans le droit chemin l'homme tant aimé vers le modèle qu'on lui a aussi enseigné. Son rôle de mâle ingurgité, il lui recrachera à la figure une fois sa situation professionnelle stabilisée. Désormais, il travaille, désormais il est cadre, il a réussi ce qu'il voulait. Elle n'a pas d'autre choix que de l'accompagner.
Il avait de grandes idées pourtant, rutilantes d'égalité, mais la tentation de l'embourgeoisement sera plus grande. Lui aussi veut sa femme au foyer, disponible et corvéable. À son service.

Il faut lire avec quel détail Annie Ernaux décortique chaque perte de sa liberté de femme, son « enlisement », dans ce véritable pamphlet pour l'égalité des sexes. Une condamnation sans appel au coeur du quotidien. Il faut dire que l'auteur, même si au moment de la publication de la femme gelée, en 1981, n'en est qu'à son troisième roman, son style est déjà bien affirmé : à la fois autobiographique et sociologique, dans un souci toujours charnel d'exposer les corps et les personnages : une manière de se décrire à la fois de façon personnelle et universelle.

« Papa va travailler, maman range la maison, berce bébé et elle prépare un bon repas », ce refrain entêtant de la chanson de l'école élémentaire ne cessera de l'indigner, car désormais sa vie est « un univers de femme rétréci, bourré jusqu'à la gueule de minuscules soucis. de solitude. Je suis devenue la gardienne du foyer, la préposée à la subsistance des êtres et à l'entretien des choses. »

Trouvera-t-elle la force pour reprendre possession de son corps et de son destin et réaliser enfin ses rêves de liberté et d'humanité, car après tout : « que faire de sa vie est une question qui n'a pas de sexe, et la réponse non plus ».

Retrouvez la chronique sur mon blog Fnac Experts/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Le-blog..
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Trois sentiments.

La tristesse, d'abord. Tristesse de se rendre compte que, malgré une éducation ouverte, malgré un modèle parental à contre-courant, malgré un parcours scolaire abouti, on sait, on sent que la fatalité finira par rattraper l'héroïne. La fatalité, en l'espèce, ce sont les conséquences du simple fait d'être née femme, et d'être par là condamnée à jouer le rôle que nous assignons aux femmes.

Vient un autre sentiment : la honte. Honte, en tant qu'homme, d'être complice quotidiennement de l'exploitation des femmes, et de profiter matériellement et symboliquement de tous les avantages qui en découlent.

Et puis la colère. Colère qu'en quarante ans depuis la parution du roman, rien n'ait changé. Ou si peu. Il suffit par exemple de regarder les données sur la répartition du travail domestique dans les couples hétérosexuels pour en convenir.

Cet ouvrage aurait dû me déplaire : auto-fiction auto-centrée, monologue écrit dans un style soi-disant plat... Prétextes évidents afin de repousser la confrontation.

Car le style est moins plat que neutre, le texte faisant oeuvre aussi bien de roman que de monographie sociale, dans laquelle se dévoile la condition d'une femme tout au long de son parcours de transfuge de classe.

Annie Ernaux parle d'elle et de toutes les femmes. Son écriture est à la fois méthodique et incarnée, pleine de vie et de souffle malgré la soumission à la force des stéréotypes et des rôles sociaux de genre. Une excellente lecture.
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Si j'avais une fille, je lui offrirais immédiatement La femme gelée, comme une piqure de rappel sur les combats féministes. J'ai beaucoup aimé le récit assez cru d'Annie Ernaux, décrivant en détails la manière dont elle s'est construite, fille d'épiciers modestes, puis bonne élève prise en étau entre ses désirs et le poids de la société sur les femmes dans les années 60. On comprend mieux comment, insidieusement, elle est devenue une femme gelée dans tous ses élans, comme ligotée dans l'image de l'épouse et de la mère modèle.
« le minimum, rien que le minimum. Je ne me laisserait pas avoir. Cloquer la vaisselle dans l'évier, coup de lavette sur la table, rabattre les couvertures, donner à manger au Bicou, le laver. Surtout pas le balai, encore moins le chiffon à poussière, tout ce qui me reste peut être du Deuxiéme sexe. »
Elle passe en détails toutes les étapes de sa vie de femme, les contradictions auxquelles elle est confrontée quotidiennement alors que son goût pour la liberté et son appétit intellectuel la pousse vers un autre idéal de vie, plus égalitaire entre les hommes et les femmes.
Certains lecteurs sont rebutés par l'écriture un peu sèche et saccadée d'Annie Ernaux mais en ce qui me concerne je trouve que cela met une distance profitable à l'identification et à l'universalité de son témoignage. Je suis certaine que son œuvre atypique sera un jour étudiée dans les universités.
A lire absolument par toutes les filles mais aussi les fils...
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Ce titre m'intriguait, que signifie: être une femme gelée. J'ai tout d'abord énormément apprécié l'humour acide d'Annie Ernaux pour décrire la réalité crue de la vie d'une jeune femme mariée avec très vite un enfant à s'occuper à plein temps, puisqu'elle a du renoncer à ses études pour que son mari fasse carrière.
Pourtant, tout débute bien autrement pour la narratrice, élevée dans une famille très différente des stéréotypes des années 50.
En effet, ses parents tiennent une épicerie /café, et la narratrice a toujours vu son père faire la vaisselle et sa mère laisser la poussière et préférer lire un livre.
Annie Ernaux, malgré le contre-courant de son éducation n'échappera pas à devenir cette jeune femme qu'elle n'aurait jamais imaginée devenir.
Une mère au foyer, briquant sans relâche perdue dans les affres d'une vie domestique sans fin.
Il est indéniable que ce livre nous parle encore aujourd'hui, que même si une vraie partition des tâches domestiques s'est établie dans les couples. La femme garde le triple travail: ménagère accomplie, mère, travailleuse, dans son cas : prof.
Annie Ernaux résonne comme une petite voix intérieure pour beaucoup de femmes.
Ce roman est un cri, une révolte contre cette société qui a encore beaucoup à apprendre pour hisser la femme dans un réel statut.
Un très bon petit récit à savourer.
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La femme gelée ou comment les petites filles joviales, brillantes et confiantes dans l'avenir deviennent des jeunes femmes ternes et stressées …

Annie Ernaux nous parle une fois de plus de son histoire : elle a grandi dans une famille atypique, le père aux fourneaux à écraser la purée, la mère cheffe de sa petite entreprise, au verbe haut et « qui ne soupçonne pas que la poussière doit s'enlever tous les jours ». Malgré cet exemple, la jeune Annie tombera dans l'aliénation domestique et le désenchantement qui guettent chaque fillette vite assignée à résidence à se couper en quatre pour être aux petits soins avec monsieur et à torcher les fesses de sa descendance, au sacrifice de ses aspirations professionnelles. Combien de fillettes ne sont-elles pas tombées dans ce piège, à coup de petites phrases bien mordantes, de regards accusateurs et culpabilisants de la famille ou de la belle-famille ?

Annie Ernaux décrit très méthodiquement comment le piège se referme peu à peu sur les jeunes femmes, et ce quel que soit leur niveau d'éducation, avec son écriture qui sublime le quotidien. Les portraits des uns et des autres sont saisissants de réalisme et surtout criants d'honnêteté, notamment le passage sur ses sentiments au moment du début de la première grossesse. Elle ne fait pourtant que décrire les petites choses communes de la petite vie des femmes mais c'est fait avec une telle justesse qu'on en ressent une certaine jubilation.

Certains ont critiqué son prix Nobel de littérature eh bien je ne suis pas d'accord avec eux : ici encore Annie Ernaux prouve qu'elle sait écrire ! Ce qui indispose peut-être certains et certaines c'est que son propos apparemment inoffensif se révèle être un manifeste brûlant pour plus d'égalité entre les hommes et les femmes, depuis l'école jusqu'à la maternité dans le cas de ce récit en particulier. Oui à une école qui ne brise pas les ailes des rêves des petites filles et qui ne met pas sur un piédestal la maternité.

C'est une lecture qui peut s'avérer douloureuse, car il est facile de se reconnaitre – à des degrés divers - dans les mots de l'auteure, et cela nous fait prendre conscience de notre propre aliénation, de nos lâchetés, de nos petits arrangements avec la réalité pour faire taire nos rêves abandonnés et nos ambitions sacrifiées, à l'autel de la maternité et de la vie de couple.

Annie Ernaux, ou la possibilité d'un retour sur soi-même, sa vie et ses choix …
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Encore une bonne pioche chez Annie Ernaux après Une femme...Oui, je me tape l'intégral " Écrire la vie"...J'espère ne pas vous ennuyer avec madame Ernaux...
C'est un écrit assez ancien( 1981), ironiquement, je suppose, dédié à son mari, Philippe...
Le style est différent de ce qu'il sera plus tard. le début, qui relate l'enfance, fait un peu penser à l'enfant, de Valles,donc ...de l'humour ( oh ! Annie! Tu rigoles ! ), des phrases un peu sautillantes teintées de parlure normande...Cela montre une enfance plutôt plaisante, entourée de femmes de caractère ( les tantes, la grand mère, et surtout la flamboyante maman) Ces femmes travaillent, elles ne sont pas des fées du logis, elles vivent dehors, cuisinent un minimum, pas le temps, les enfants en liberté dans le jardin...La mère d'Annie, Blanche Duchesne, fait partie de ces femmes, mais veut que sa fille se sorte de ce milieu ouvrier et de petit commerçant, trop précaire. Une seule solution : l'école. Tu seras quelqu'un, ma fille. le monde est à toi. Enseignement merveilleux de toute sa jeunesse, mais Annie va tomber dans quelques pièges avant de l'accomplir. Dans sa famille, on !'éleve sans lui faire remarquer qu'elle est une fille. " Travaille", ne t'occupe pas des corvées ménagères...Et son père est un homme doux, moderne, qui n'a pas peur de faire la vaisselle ou de cuisiner pour sa fille...Comment imaginer dès lors la puissance de la domination masculine ?
L'adolescence sera un premier pas vers cet apprentissage. Il faut plaire aux garçons. Et pour cela, il faut s'intéresser exclusivement à eux, leurs sujets de conversations, leurs vies. Une fille n'a pas de vie, pas de copines, pas de centre d'intérêt hormis eux...Dur apprentissage pour Annie, déchirée entre le désir d'amour et une farouche indépendance.
Quatre ans d'études à la fac sont quatre ans de liberté. Mais des filles disparaissent, peu à peu, dans le gouffre du mariage...Elles sont de plus en plus nombreuses...Annie résiste, résiste...Et puis Philippe réussit à mettre le grapin sur elle, et bienvenue au purgatoire.
Récit de 5 années de mariage à peu près. Philippe l'étudiant aux belles idées progressistes se transforme peu à peu en tyran domestique de base...En Annie, la femme se gèle... Peu de résistance apparente, mais une immense colère enfouie. A peine installée avec monsieur, et là voilà préposée au ménage, à la cuisine, à la vaisselle...Elle abandonne ses livres pour nourrir l'homme tandis que lui continue à étudier...Puis l'enfant parait...Elle en a la charge complète et monsieur l'inspecte le soir. Il livre son jugement. Aucune nuance dans l'attaque frontale d'Annie Ernaux. On s'oppose, tout s'oppose,à son existence et à son ambition d'être un individu singulier. le mari est conforté dans son comportement par toute une société profondément castratrice envers les femmes. Tous et toutes lui donnent raison. Pourtant, Annie, plus ou moins consciemment, ne lâche pas. Elle passe le Capes entre deux biberons et deux rôtis de veau, et réussit à devenir professeure. Mais son esclavage ne s'arrête pas pour autant. On le sait bien, prof, c'est facile, 18 heures de cours et basta ! Ben voyons, et je prépare mes cours en changeant le bébé, et je corrige en le faisant manger- tant pis pour les traces de régurgitation sur les copies...Hors de question que monsieur bouge son derrière...Il a beaucoup travaillé dans son bureau et mérite bien d'attendre le dîner en lisant le Monde...
Bref, j'ai rarement lu une description aussi crue et réaliste de la condition des femmes dans les années 60...Et jusqu'à maintenant même si les tâches ménagères, parait-il, se repartissent un peu mieux...Mais pas partout, je le sais. le texte est très violent dans la dernière partie ( celle du mariage) et on ne comprend plus bien à quoi celui ci rime. Plus de tendresse, pas un mot d'amour, rien. le piège s'est refermé sur la fille de Blanche...malgré tout. le texte s'arrête brutalement. Mais comme je sais - elle le dit souvent- qu'elle est restée mariée 18 ans avec Castrator, je me demande vraiment comment elle a tenu...
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À chaque livre d'Annie Ernaux que je lis, je me demande comment elle fait pour me toucher autant et pour exprimer aussi bien des choses que j'ai ressenties également.
Même avec son écriture plate, ses romans sont bouleversants et elle sait mieux que personne décrire certains aspects de la condition féminine.
Dans la femme gelée, elle parle à la fois de sa mère, petite commerçante qui partageait les tâches ménagères avec son père ce qui était inhabituel à l'époque, de sa volonté de faire des études, et de sa sensation d'enfermement après son mariage quand elle a dû renoncer à ses rêves et ambitions pour s'occuper de son premier enfant et rentrer dans le moule de la parfaite femme au foyer.
Annie Ernaux fait de sa vie le matériau de son oeuvre et nous aide aussi à mieux comprendre la nôtre et certains de nos sentiments qu'on n'arrive pas forcément à exprimer aussi bien qu'elle le fait ou qu'on n'ose tout simplement pas accepter.
Un roman magnifique et une belle histoire de femme !
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Un ouvrage qui permet à Annie Ernaux de parler de sa condition de femme mariée. Elle, qui, issue d'un milieu modeste, a pu obtenir son bac et intégrer la faculté ; elle qui pensait pouvoir mener une vie libre faite de lectures et de voyages, s'est mariée. Et dès lors, elle a découvert, qu'à diplômes et intelligence égales, quand la cocotte -minute siffle, c'est elle qui se lève et l'éteint. « Pourquoi de nous deux suis-je la seule à devoir tâtonner, combien un poulet […] pendant qu'il bossera son droit constitutionnel » ? Peu à peu cette obligation culinaire la détourne de ses études, puis vient l'enfant, et là encore, c'est à elle de s'occuper de lui tout en assurant les tâches ménagères car l'homme travaille maintenant. le fait de réussir son capes, de jongler avec les cours et les copies, d'avoir un deuxième enfant, ne met pas fin à cette charge mentale que nous, les femmes, connaissons encore. Car ce dont parle Annie Ernaux c'étaient dans les années 60, à une époque où les maris/pères ne participaient jamais aux tâches du foyer (mon père par exemple). Certes, les moeurs ont changé mais pourquoi me suis-je reconnue dans ce qu'elle écrit ?... Je n'avais jamais lu Annie Ernaux. C'est un tort que je vais réparer.

Challenge Riquiqui 2023
Challenge Plumes féminines 2023
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L'héroïne a trente ans, elle est désormais enseignante et s'est mariée. La famille s'est agrandie car le couple a deux enfants. Tout va bien en apparence dans sa vie. Son mari a fini ses études et il est à présent devenu cadre et gagne bien sa vie. Ils vivent à Annecy une jolie ville, dans un appartement agréable, pourtant, alors qu'elle a "tout pour être heureuse" elle se rend compte que jour après jour qu'elle prend de moins en moins de plaisir à vivre même si elle adore ses enfants et son travail. Son quotidien est une course permanente pour arriver à s'en sortir avec tout ce qu'elle a à faire. Son implication dans la vie domestique est trop forte (les courses, les enfants, les repas à préparer...), et se rajoute à son travail qui lui demande aussi des préparations et des corrections. de plus, son mari lui fait des reproches comme si elle n'en faisait pas assez, elle doit être parfaite alors qu'elle n'y arrive plus.
Dans les années 60, il fallait être une "superwoman". Mais elle se révolte en prenant conscience que les hommes ont tous les plaisirs, et les femmes si peu, alors qu'elle n'était en rien préparée à ça, ni par son éducation, ni par les figures féminines de sa famille. Sa mère lui a en effet toujours répété que par les études elle atteindrait la liberté mais elle, ce qu'elle vit mal, c'est la solitude et la surcharge de travail quotidien, c'est d'être une "femme gelée".
Au passage, l'autrice nous parle de son enfance, des années heureuses de son point de vue, malgré les punitions et les cris...et l'éducation rigide et simple qu'elle a reçue.
Ses parents étaient différents. Sa mère ne se laissait pas marcher sur les pieds. Elle avait beaucoup de responsabilité dans sa vie professionnelle puisqu'elle tenait un commerce. Elle lui a donné le goût de la lecture car elle aime lire et le goût des études. Son "père-enfant" comme elle aime l'appeler, faisait sa part en cuisinant, en s'occupant de sa fille qu'il adorait et cela était réciproque, il était tendre et aimant, émerveillé d'avoir une fille, affolé par ses retards, ses maladies, sa fragilité. Ses parents se partageaient donc sans problèmes, les différentes tâches domestiques ce qui surprenaient beaucoup ses copines de l'époque.
Alors bien entendu, rien ne la préparait à vivre ensuite une vie de frustration une fois mariée. Rien ne la prédisposait à devenir la femme qu'elle est devenue aujourd'hui.
Toutes les femmes de la famille ont été des femmes fortes, au caractère bien trempé, combatives et indépendantes.
Elle aussi va le devenir, bien malgré elle ! Pourquoi les femmes dans la grande majorité des cas sont celles qui ont renoncé à leurs rêves ?

Publiée en 1981, "la femme gelée" est le troisième roman d' Annie Ernaux si l'on considère les dates de publication.
Elle le dédie à "Philippe" son premier mari et père de ses deux enfants, alors que le couple est en plein divorce. le thème central de ce texte écrit comme un journal intime, est bien celui de l'inégalité entre les hommes et les femmes dans notre société.
Je ne crois pas me tromper en disant que malgré les progrès effectués ces dernières années, ce roman autobiographique n'a pas pris une ride et que de nombreuses femmes même parmi les jeunes, s'y reconnaitront aisément.
C'est avec des mots simples que l'auteur nous offre ce beau récit, qui est quasiment une étude sociologique des années 60.
C'est une lecture féministe. Souvent, je repense à ce que je disais à mes copines dans les années 80 justement, quand elles se plaignaient du manque de participation de leur mari alors qu'elles travaillaient et n'arrivaient pas à mener de front vie professionnelle et vie au foyer. Sans entrer dans les détails personnels, je leur disais que c'était à elle de changer l'éducation de leurs garçons...mais à cette époque, elles-mêmes les maternaient trop, faisaient tout à leur place sans leur donner ni responsabilité, ni envie de devenir plus autonomes en ce qui concernait les choses matérielles.
En découvrant ce récit, les lecteurs pourront se questionner sur les avancées en matière de répartition des tâches, l'éducation des enfants, ce qu'on appelle aujourd'hui la "charge mentale"_ le travail domestique donc_ indispensable pour faire fonctionner la vie familiale.
On s'aperçoit très vite que l'émancipation des femmes a des limites, elles veulent travailler et certes les conjoints l'acceptent, mais rien ne doit changer pour autant dans leur vie, dans leur petit confort quotidien, dans leur liberté d'action. Les chiffres le montrent encore aujourd'hui, il n'y a aucune révolution dans la répartition des tâches quotidiennes, même si les jeunes générations partagent davantage c'est à la femme que revient toujours la plus lourde tâche à partir du moment où naissent les enfants.
Avec son style bien à elle, qui va droit au but, son écriture simple et sans fioriture, mais avec beaucoup de lucidité, et un certain recul qui rend ses propos universels, l'autrice nous offre encore une fois un texte très fort à lire et relire. J'ai aimé le relire. Ses doutes et ses interrogations sont très émouvants et ne peuvent que nous toucher.
Un roman autobiographique qui s'adresse donc à tous les femmes d'hier et d'aujourd'hui, jeunes ou plus âgées et à tous les hommes.
Lien : https://www.bulledemanou.com..
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Trente ans de la vie d'une femme.
Une femme gelée, figée, piégée par le simple fait d'être une femme, par la condition féminine telle qu'on la concevait au siècle dernier – et telle que des milliards de femmes la subissent encore, aujourd'hui.
Dans le café-épicerie, les parents travaillent côte à côte, dans un partage des tâches inhabituel dans les années 50, mais qui va forger la représentation des genres de la petite Annie : un père doux, une mère ardente, un couple qui souhaite à sa fille unique de s ‘épanouir, de se réaliser dans la liberté et les études.
Mais le monde est là pour lui enseigner son rôle : la série des "Brigitte" de Berthe Bernage (que j'ai lue moi aussi), les magazines féminins, l'exemple des camarades, celles dont la mère est "au foyer" dans une maison impeccable… Adolescente, Annie cherche à se couler dans le moule, pour plaire aux garçons qui l'intéressent de plus en plus.
Pourtant, le socle de son éducation familiale reste là, solide : ce qu'elle cherche, devenue adulte, n'est pas un mari, mais un compagnon, un frère, une égalité dans le couple.
Recherche illusoire, condamnée d'avance : la vie conjugale, puis l'arrivée des enfants, vont éteindre ces aspirations sous le poids de ce qu'on n'appelait pas encore la "charge mentale"… en plus bien évidemment de la charge domestique et maternelle.
Comme s'il n'existait pas d'échappatoire.
Au travers de son expérience personnelle, Annie Ernaux raconte l'éducation des filles et le modèle social dans les Trente Glorieuses, elle nous rend perceptibles les murs de la prison. En maintenant tout du long le fil ténu de la conscience de soi, du sentiment d'injustice, elle construit une oeuvre universelle qui parle à toutes les femmes.
Challenge Nobel
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