«
L'autre fille » d'
Annie Ernaux a été publié en mars 2011 dans la collection « Les Affranchis » de l'éditeur NiL. Comme le souligne la première page qui vise à présenter cette collection : « Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire. La collection « Les Affranchis » fait donc cette demande à ses auteurs : « Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite ». »
Annie Ernaux a écrit une lettre à un destinataire dont elle sait qu'elle ne la lira jamais : elle écrit à sa soeur, décédée deux ans avant sa naissance. Une soeur qu'elle n'a jamais connue, qui n'a jamais été sujet de conversation avec ses parents. Elle apprend son existence par hasard, durant son enfance, au détour d'une conversation surprise au cours d'un jeu, dont elle n'était pas la destinataire. Sa mère « raconte qu'ils ont eu une autre fille que moi et qu'elle est morte de la diphtérie à six ans, avant la guerre, à Lillebonne » (p. 16). « Elle dit de moi elle ne sait rien, on n'a pas voulu l'attrister. A la fin, elle dit de toi elle était plus gentille que celle-là. Celle-là, c'est moi » (Ibid.). Ces mots surpris par hasard vont tisser toute son existence, reconstruisant le sens du passé, proposant un nouveau sens pour le futur. de longues supputations émergent alors dans l'esprit d'
Annie Ernaux : elle est née alors que sa soeur est morte. Elle est née parce que sa soeur est morte. Une culpabilité surgit. Des doutes également, un questionnement sur le sens de la vie.
Les mots sont toujours justes, l'auteure a su prendre de la distance avec ce vécu douloureux. En même temps, les émotions restent intactes derrière des mots qui cherchent à nommer, à mettre à distance, des paroles à la fois blessantes et fondatrices. Cette lettre courte m'a permis de me poser une question : comment fait-on pour écrire une lettre à un destinataire qui ne vous lira jamais ? Quel sens cela a-t-il pour l'auteure ? Elle esquisse une réponse à la fin : « peut-être que j'ai voulu m'acquitter d'une dette imaginaire en te donnant à mon tour l'existence que ta mort m'a donnée. Ou bien te faire revivre et remourir pour être quitte de toi, de ton ombre. T'échapper. » (p. 77)
Un livre poignant, une intention originale, à la fois de l'éditeur (et de la collection créée) et de l'auteure. J'aurais aimé cependant un style un peu différent, sans pouvoir préciser vraiment en quoi, sinon former le souhait d'une écriture un peu plus poétique.