J'avais été gênée par ma lecture de
la Place, seule oeuvre que j'avais déjà lue d'
Annie Ernaux. Pourtant, même si je ne suis pas de la même génération, ni tout à fait de la même origine sociale, j'aurais pu me reconnaître : moi aussi j'ai dû quitter ma Normandie provinciale pour faire mes études de lettres à Paris. Mais j'avais été gênée par ma lecture par l'impression d'un certain mépris de classe pour le milieu populaire dont elle venait.
J'ai donc paradoxalement moins de point commun avec le personnage de
l'Evénement : je ne vis pas dans
les années 60, si j'avais à avorter, je pourrais le faire de façon légale, sans risquer la prison, ni pour moi, ni pour ceux qui m'auraient aidée. Mais j'ai reconnu cette culpabilisation des femmes qui ne peuvent vivre pleinement leur sexualité sans être jugée - vouloir simplement prendre du plaisir reste vu d'un regard réprobateur. J'ai reconnu ce sentiment de honte, de solitude, lorsqu'il faut prendre rendez-vous chez un médecin, demander un médicament dans une pharmacie - quand une je
une femme demande la pilule du lendemain... J'ai reconnu cette fuite masculine, à tel point qu'on parle maintenant de charge mentale de la contraception qui repose encore bien trop majoritairement, comme toutes les autres, sur les femmes, y compris dans un couple.
Mais j'ai reconnu aussi ce qui ne s'appelait pas encore "sororité" dans
les années 60 mais qui se retrouve, cette aide entre femmes par-delà les générations. Et cela donne une bouffée d'optimisme.
Le texte est parfois étouffant, car le temps avance inexorablement. Cependant, le titre même nous a déjà prévenus, "
l'événement" a bien eu lieu, on sait que le personnage réussira. le choix de ce titre est particulièrement intéressant : le mot avortement est très peu écrit dans le texte, tout comme la jeune
Annie L écrivait peu dans son agenda pour ne pas se confronter à la réalité des faits. Un événement, c'est la conséquence d'un fait, la conséquence d'une grossesse, due à un été de séduction. C'est aussi quelque chose qui s'inscrit dans la durée, comme cet état de grossesse qui dure plusieurs semaines qui semblent s'étirer. Enfin,
l'événement, c'est une date marquante dans l'histoire collective et individuelle. Et la Narratrice le dit bien, c'est un événement dans sa vie, la faisant passer de jeune fille à femme, une date historique - la nuit du 20 janvier, ce qui, pour une historienne comme moi, fait penser à l'exécution de Louis XVI...
Pour finir, j'ai apprécié à ma lecture les interventions de l'Autrice, qui se questionne sur ce quel fait. En quoi est-ce un sujet de livre ? En quoi les images qu'elle utilise sont-elles pertinentes ? L'écriture fait surgir des images, qui ne peuvent rendre toute la réalité des faits dans son ampleur, mais l'écriture est nécessaire. L'écriture peut donc à la fois souvenir et mémoire, compréhension et intellectualisation, particulière et universelle puisque chaque femme quelle que soit son époque peut se reconnaître.