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Je déteste cette histoire !

Je déteste le regard méprisant du médecin (et des autres…)

Je déteste cet « ami » qui se croit tout permis, parce que si une fille est tombée enceinte, c'est qu'elle est trop libre…

Je déteste le sort de cette étudiante, sa solitude dans une impasse, sa vie entre les mains d'une faiseuse d'anges.

Je déteste tout ça, et je remercie celles et ceux qui ont fait en sorte que moi, ma soeur, ma fille, ne vivrons pas « L'événement ».

Un témoignage bouleversant, je déteste que ce soit si vrai et qu'on ne puisse l'oublier une fois le livre refermé.
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Annie Ernaux raconte ici l'avortement qu'elle a du subir, bien avant la loi du 19 janvier 1975. Parcours du combattant, émaillé des multiples vexations de son entourage, y compris du géniteur ou des personnes professionnelles ou non à qui elle demande de l'aide, et qui met en lumière encore une fois à quel point le milieu social auquel il semble que l'on appartienne modifie le regard de l'autre.

Même si tout n'est pas forcément simple et facile presque cinquante ans plus tard, l'auteur apporte aussi un éclairage historique et social autour de la condition féminine.

L'analyse est comme toujours fine, aiguisée et terriblement dérangeante

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Aux six juges de la Cour suprême des États-Unis (six contre trois) qui ont statué que la Constitution américaine ne confère pas le droit à l'avortement,
Au gouvernement hongrois qui a fait inscrire dans la constitution que "la vie humaine est protégée depuis la conception",
Au parlement polonais qui n'autorise l'avortement qu'en cas de "danger pour la mère ou de viol",
Et aux milliers d'autres législateurs qui s'arrogent un droit absolu sur le corps, le choix et la vie des femmes,
Apprenez qu'une femme qui veut avorter le fera.
Dans la clandestinité, l'illégalité, le danger de mort, quels que soient les risques encourus, mais elle avortera. Elle a-vor-te-ra.
L'immense obstination à avorter n'a jamais été aussi bien traduite que par Annie Ernaux. Son "évènement" en 1963, elle l'a porté en elle pendant plus de trente ans, jusqu'à l'écriture de ce livre en 1999, et elle en reconstitue avec minutie les épisodes grâce à ses notes d'alors, agenda, journal intime, avec une admirable sincérité.
Et avec une acuité terrible, elle analyse même la différence de traitement entre son statut d'étudiante et celui d'une "vendeuse de Monoprix" : même si la sororité du malheur existe, la classe ouvrière, sans argent, sans respect, souffre encore davantage.
Mais qui a bien pu juger que l'écriture d'Annie Ernaux était "blanche", "neutre" ? Pour ma part elle m'a soulevée d'émotion à chaque page, chaque mot. Choisir une citation ? J'aurais voulu vous recopier tout le livre…
À l'annonce de son prix Nobel, j'ai filé emprunter trois oeuvres d'Annie Ernaux à la bibliothèque ; j'ai commencé par "L'évènement"car j'avais tellement, tellement aimé le film. Et sans images, sans musique, ce roman, ces mots nus, m'ont bouleversée encore bien davantage.
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Annie Ernaux raconte ici une "affaire de femmes".
Alors qu'elle vient de passer un test de dépistage du SIDA et qu'elle est plongée dans la rédaction d'un roman, l'auteur repense à l'avortement qu'elle a subi 35 ans auparavant.
Le récit alterne entre la retranscription crue des faits et les réflexions développées avec le recul du temps ; Ernaux est à la fois le personnage principal et sa propre commentatrice. de son ton direct et clinique, elle procède à la description la plus fidèle possible de son expérience, sans fausse pudeur ni exhibitionnisme -et sans plainte. L'affect ne transparaît que pour dénoncer le mépris de classe et le patriarcat qui régnaient à l'époque de ses vingt ans, et c'est ce qui rend le texte si fascinant à lire. J'ai aimé sa colère d'insoumise.
Avec ce court récit, Ernaux revendique son appartenance à cette longue lignée de femmes ayant dû recourir à un avortement clandestin, puisque empêchées par la loi de disposer de leur propre corps, de leur avenir et de leur vie, tandis que le personnel de santé qui se risquait à interrompre une grossesse non désirée encourait la prison. C'est pourquoi j'ai trouvé ce court récit courageux, d'autant qu'il souligne l'écrasante solitude avec laquelle elle a traversé cette épreuve, malgré une solidarité féminine discrète et inattendue, et qu'il pointe l'hypocrisie de la société d'alors.
(D'alors seulement ?)

"N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant." Simone de Beauvoir
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Ca y est, j'ai enfin lu notre dernière Prix Nobel de Littérature ! Et je l'ai fait davantage pour le challenge solidaire que par curiosité, les avis très partagés ne me motivant pas.
.
L'événement qui donne titre au livre, c'est un avortement, l'auteure y racontant son expérience.
Enfin y racontant rapidement son expérience, car le livre est très court, très très court. Comme tous les livres d'A. Ernaux si j'ai bien compris.
Sans exiger que tout livre sorte en pavés, j'aime quand même quand un récit prend le temps de se poser. Là je n'ai pas réussi à sentir l'inquiétude chez la jeune femme pourtant devant une situation plus que difficile à cette époque où l'avortement était poursuivi au pénal. de fait il m'a manqué un peu d'empathie, de chaleur dans ce récit presque trop clinique.
J'ai trouvé intéressant les réactions des personnes qui se trouvent témoins de ce récit (dans un sens ou dans l'autre). Mais c'était trop court, trop rapidement traité.
.
Disons que ce livre a le mérite de rappeler que l'avortement est un acquis récent, qu'il faut se battre pour qu'il demeure un droit. Dans l'espoir (utopique) de le voir un jour se généraliser....
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L'évènement, pour Annie Ernaux, son avortement en 1964, onze ans avant la loi Veil, c'est le sien, et surtout pas celui d'autres femmes dans la même situation

La situation qu'elle décrit, un peu Maupassant, de la jeune ouvrière (elle est étudiante, boursière, mais passons), de la pauvre, en tous cas, engrossée par … bon, c'est un étudiant, elle retourne le voir pour passer des vacances aux sports d'hiver, quand même, les mois passent mais elle ressasse le fait qu'elle est d'une classe sociale défavorisée.
A-t-elle, cette Annie Ernaux, conscience que des filles de milieu bourgeois sont un peu dans la même situation ? (Elle n'a pas complètement tort, les jeunes aisées prenaient le train pour la Belgique, elle, elle va au sport d'hiver.)
A-t-elle, cette Annie Ernaux, conscience qu'elle n'est d'ailleurs absolument pas la seule « pauvre » à devoir recourir à l'avortement ?
Vous me suivez, c'est elle qui a subi l'avortement, elle et elle seule qui a souffert, et la mort de Kennedy, au même moment, cela ne l'intéresse pas du tout.

. Or, nous dit Simone de Beauvoir :

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »

Elle se justifie de n'avoir pas signé le manifeste des 343 femmes, en 1971, dont Gisèle HalimiSimone de BeauvoirCatherine Deneuve qui risquent, elles, de perdre leur carrière et leur statut, et qui se feront traiter de « salopes » : parce qu'elle « n'était rien ».
Il est vrai, en 1971 elle n'était rien dans le milieu littéraire et n'aura le prix Renaudot qu'en 1984 après La place.
Ceci dit, son livre est utile en ce qu'il rappelle ce temps où les drames, réels, liés à l'avortement : la recherche d'une solution à un interdit, et ses suites dramatiques, comme l'hospitalisation après hémorragie, au curetage parfois pratiqué par des médecins cathos, quand ils ne laissaient pas tout simplement l'hémorragie continuer, devaient être subis par les femmes après avoir avorté.
« Les armoires vides », en 1974 puis « l'Évènement », en 2000, sont donc deux livres tout à fait utiles.
« Que la forme sous laquelle j'ai vécu cette expérience de l'avortement -la clandestinité-relève d'une histoire révolue ne me semble pas un motif valable pour la laisser enfouie-même si le paradoxe d'une loi juste est presque toujours d'obliger les anciennes victimes à se taire, au nom de « c'est fini tout ça », si bien que le même silence qu'avant recouvre ce qui a eu lieu. »
Comme Isa@isacom l'a bien souligné, justement, ce n'est pas fini tout ça, et le calvaire de femmes obligées de recourir à des « faiseuses d'ange » n'est pas du tout inenvisageable dans certains pays et sous des régimes proches de nous.

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Un livre fort, un livre marquant, un livre nécessaire. Un passage d'Annie Ernaux à l'hôpital pour un test de dépistage du Sida fait remonter à sa mémoire un autre passage à l'hôpital, plus de trente ans avant. D'habitude je n'apprécie pas beaucoup l'écriture de cet auteur, son choix d'une écriture neutre, distanciée, factuelle, froide et minimaliste à l'extrême. Mais il est des moments où ce type d'écriture convient particulièrement, et c'est le cas ici. Elle alterne le récit des faits simplement retranscrits, de la découverte de sa grossesse à l'avortement, et les réflexions que lui suggère le recul du temps : elle est à la fois le personnage principal et l'auteur qui commente. La solitude d'une jeune femme candidate à l'avortement au début des années 60, clandestin forcément, est palpable, glaciale. Plus d'émotion dans le récit l'aurait rendu quelconque : ici nul besoin d'empathie envers la jeune fille, l'émotion (la nôtre) naît de la situation, des faits, qui parlent d'eux-même et bouleversent le lecteur. Sans compter les passages qui nous montre l'attitude du corps médical, tout en mépris de classe et en suffisance. Ce court récit, ce témoignage tardif, est remarquable, percutant, essentiel.
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Nous nous aimions le temps d'une chanson
--- en 1963 ----

"Des milliers de filles ont monté un escalier, frappé à une porte derrière laquelle il y avait une femme dont elles ne savaient rien, à qui elles allaient abandonner leur sexe et leur ventre. Faire passer le malheur."


Une écriture au scalpel, quasi chirurgicale qui dissèque l'événement au titre du droit imprescriptible d'écrire sur son expérience personnelle et de l'offrir en partage à d'autres, de parfaits inconnus, de prendre le risque de l'exposer comme son corps et son sexe l'ont été, du 20 au 21 janvier 1964.


Une épreuve, une douleur, qu'ont vécues clandestines des milliers de femmes, que vivent encore dans le monde certaines d'entre elles et/ou que risquent de connaître d'autres générations (si nous n'y veillons pas).


* Si je n'avais pas raté la projection grand écran du Lion d'Or de la Mostra
* Si Annie Ernaux n'avait pas été con-sacrée Nobel 2022
* Si la location VOD n'était pas arrivée à terme sans que je la visionne

* Si les USA, à l'été, et peut-être à l'automne 2022 (cfr élections de mi-mandat) n'avaient pas assassiné leur constitution tout comme Kennedy à Dallas l'année et le mois où lui a été confirmée une grossesse non désirée
.
* Si l'introduction du roman n'avait pas évoqué l'attente d'une réponse à un test de séropositivité me renvoyant aux enfants endormis lus en août
* Si le sujet ne m'avait pas paru aussi 'obligatoire' que certaines ordonnances en pharmacie

* Si certaines femmes ne s'étaient pas battues pour obtenir le droit à l'avortement, à la contraception, à la liberté de disposer de son corps comme un homme, d'en jouir sans en porter le malheur ou les conséquences, bien souvent seules.

* Si certains médecins n'avaient pas, à l'inverse des Dr N, V., de l'interne de l'hôpital-Dieu, du médecin de garde de la cité universitaire, couru le risque de se voir privés du droit d'exercer ou d'être pénalement condamnés

* Si les images évoquées dans ce roman n'avaient pas été aussi bien écrites, perturbantes, jusqu'à me provoquer les nausées d'une femme enceinte

" celle à 9 ans de la grand tache rosée, de sang et d'humeurs, laissée au milieu de mon oreiller par la chatte morte pendant que j'étais à l'école et déjà enterrée quand je suis revenue, un après-midi d'avril, avec ses chatons crevés à l'intérieur d'elle."

" --- un sac de biscottes vide et je le glisse dedans. C'est comme une pierre à l'intérieur. Je retourne le sac au-dessus de la cuvette. Je tire la chasse.
Au Japon on appelle les embryons avortés, mizuko, les enfants de l'eau."

" Mon ventre était une cuvette flasque. J'ai su que j'avais perdu dans la nuit le corps que j'avais depuis l'adolescence, avec son sexe vivant et secret qui avait absorbé celui de l'homme sans en être changé. rendu plus vivant et plus secret encore."


* S'il n'y avait pas eu une grève générale ce 9 novembre en Belgique me permettant de dormir un peu plus après une nuit courte peuplée de rêves
"Devant moi flottait un petit baigneur blanc comme ce chien dont le cadavre jeté dans l'éther continue de suivre les astronautes dans un roman de Jules Verne."

-- Si tous ces si ne s'étaient pas additionnés, alignés, je n'aurais ni lu ni terminé ni parlé de ce roman. --- Bref (le voilà revenu, mon bref)

Je serais passée à côté de l'événement: expérience indicible. Entre beauté singulière de l'écriture clinique qui prend aux tripes et horreur des émotions face à l'épreuve, la violence, l'indifférence complaisance ou curiosité de la fin de l'histoire, la brutalité des gestes et des propos: médecins, prêtre, étudiants ou fiancé.


(les Si --- Pas de ce billet sont un clin d'oeil à B. Giraud)

--- Nous nous aimions le temps d'une chanson. Nous vivions.
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Je sais que sur Babelio, les avis relatifs aux livres d'Annie Ernaux sont partagés et que certains de mes ami.e.s babeliotes y ont fait des commentaires négatifs.

En ce qui me concerne, après avoir lu il y a fort longtemps son livre La place, c'est l'attribution du Prix Nobel de littérature qui m'a incité à la lire.
Et je dois dire que j'ai été impressionné par cette oeuvre magnifique d'auto-fiction produite par Mme Ernaux, qui nous renvoie comme un miroir le portrait saisissant et sans concession de l'évolution sociétale de notre pays durant la deuxième moitié du 20ème siècle, et surtout de la condition féminine et du rapport entre classes sociales.

L'événement est un exemple de plus de l'approche d'Annie Ernaux.

En nous racontant son histoire bouleversante, celle de son avortement clandestin en 1964, à une époque où il était interdit, elle rend compte avec vérité et crudité de la condition des femmes avant que cet acte ne soit légalisé grâce à la loi Veil en 1975.
Elle nous dit à la fois les quelques personnes secourables qui lui ont permis de passer cette épreuves, exclusivement des femmes, le mépris ou la réprobation voire l'indifférence de la gent masculine (ainsi en est-il de l'homme qui l'a rendue enceinte), la lâcheté ou la méchanceté du corps médical, son jugement « de classe ».

Mais j'ai trouvé que ce livre, lu le coeur serré en une soirée, est plus qu'un témoignage cru, brutal, saisissant.

Il y a tout d'abord sa mise en perspective,au début du livre, avec les années où apparaît le SIDA, une autre situation de marginalisation terrible d'une partie de la population, pour d'autres raisons. Et ça donne à réfléchir aux autres cas où les hommes et les femmes sont marginalisés voire stigmatisés, par exemple la maladie mentale, l'autisme, les handicaps de toutes sortes.

Ce livre a aussi une valeur éminemment sociologique dans la mesure où il montre non seulement la condition des femmes de cette époque, mais nous fait réfléchir sur le fait que cet acquis majeur est en danger, pour des motifs religieux mêlés à une volonté de domination idéologique, aux États-Unis et dans les pays d'Europe menés par les populistes d'extrême droite. Et de se dire: qu'en serait-il si l'extrême droite venait au pouvoir en France?.
Annie Ernaux nous livre encore comment le traitement des femmes par le corps médical est marqué par un sentiment de classe. Comment par exemple le médecin qui l'a prise en charge avec brutalité pour un curetage rendu nécessaire par la complication de son avortement, affirme rétrospectivement à une infirmière qu'il l'aurait traitée autrement s'il avait su qu'elle terminait des études supérieures. Autrement dit, que cette brutalité se justifie si les femmes sont d'une classe « inférieure » , ouvrière,paysanne etc…

Une autre chose m'a frappé. C'est l'extraordinaire travail de l'auteure sur la mémoire. le récit a, je trouve, une dimension de catharsis, comme si Annie Ernaux cherchait à revivre l'événement à la fois pour en témoigner, mais aussi pour s'en libérer.
Il s'agit, en ce sens, d'exorciser le traumatisme du passé pour lui donner valeur universelle, pour parler au nom de toutes les femmes qui ont, en un temps pas si lointain, vécu le même événement témoignant d'une certaine forme de domination masculine, religieuse, sociale.

En conclusion, mon avis est que ce livre dur, écrit de façon volontairement dépouillée, est un chef-d'oeuvre.
Oui, nous avons la chance d'avoir, dans notre pays, des auteures de la trempe et de la qualité d'Annie Ernaux.
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C'est à l'occasion d'un dépistage VIH qu'Annie Ernaux se rappelle avec acuité, sûrement avec le plus de vérité, un moment traumatique antérieur : sa grossesse non désirée et la lutte pour avorter qui s'en est ensuivie, à une époque où les avortements étaient interdits par la loi.

« Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. » Ce moment d'angoisse et d'attente qu'a été ce dépistage représente la dernière manifestation du désir de la narratrice d'écrire sur cet « événement », comme elle l'appelle, un déclic pour libérer un désir longtemps réprimé, car source de crainte : « Je résistais sans pouvoir m'empêcher d'y penser. M'y abandonner me semblait effrayant. Mais je me disais aussi que je pourrais mourir sans avoir rien fait de cet événement. S'il y avait une faute, c'était celle-là. ».

Annie Ernaux s'engage ainsi dans un témoignage objectif, quasi sociologique, de cet événement, à partir des entrées de son agenda de l'époque et des souvenirs qu'elles suscitent, pour creuser le traumatisme, ressentir à nouveau, par l'effort de les rechercher par les mots, les sensations et la vérité d'alors. de savoir ce qui en resté et sous quelle forme.

Avec son écriture concise, sans aucun gras, l'autrice creuse donc ses ressentis concernant cette situation excluante, qui la rappelle à sa condition de « pauvre » dont elle pensait se sortir grâce à ses études supérieures, elle qui était la première de sa famille à en faire. Cet événement qui dresse un mur entre elle et les autres, notamment les garçons qui font la différence entre les filles qui couchent et celles qui ne le font pas et qui adaptent leurs comportements en fonction, entre les étudiants qui n'ont que leurs études à penser et elle que l'angoisse éloigne de ses recherches littéraires, qui la fait se sentir une « délinquante » par rapport à ce monde universitaire qui constitue pour elle sa référence.

C'est la première fois que je lis un roman d'Annie Ernaux, autrice dont je craignais la lecture en raison de son écriture plate et blanche, de peur de me sentir tenue à distance et empêchée de ressentir une quelconque émotion. Il n'en a rien été, au contraire, et je peux dire que lire « L'évènement » a été une expérience de lecture, pas toujours facile, car l'émotion s'en est allée crescendo, jusqu'au moment de l'avortement, et de ses conséquences qui auraient pu être dramatiques.

J'ai ressenti une profonde compassion pour cette jeune fille si seule dans son désarroi, pas assez entourée, qui ne se rend pas compte qu'elle est en état de choc, celui-ci se traduisant par cette crainte de ne plus être une intellectuelle, de ne plus savoir réfléchir, alors que tout simplement elle vit une situation qui n'est pas anodine et qui la replace dans son corps, elle l'intellectuelle qui semble vouloir s'en détacher, parce que la société réprouve encore, dans les années 60, le désir sexuel des jeunes filles. Personne n'est là pour l'aider, elle qui se fait écraser par une loi déshumanisante, atroce pour les femmes, qui les poussent à risquer leur vie dans la clandestinité.

Car c'est l'objectif aussi de ce texte, témoigner d'une loi brutale, « invisible, abstraite, absente du souvenir et qui pourtant [la] jetait à la rue à la recherche d'un improbable médecin. ». Cette loi présente partout, et qui « rendait impossible de déterminer si l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi ». Une loi qui restreignait les médecins, alors « obligés à se rappeler la loi qui pouvait les envoyer en prison et leur interdire d'exercer pour toujours. Ils n'osaient pas dire la vérité, qu'ils n'allaient pas risquer de tout perdre pour les beaux yeux d'une demoiselle assez stupide pour se faire mettre en cloque. A moins qu'ils n'aient sincèrement préféré mourir que d'enfreindre une loi qui laissait mourir des femmes. […] En face d'une carrière brisée, une aiguille à tricoter dans le vagin ne pesait pas bien lourd. »

J'ai ressenti à la lecture de « L'évènement » la même indignation que pendant celle du « Choix » de Désirée Frappier, roman graphique (qui faisait d'ailleurs de la place dans ses pages pour des extraits d'une interview avec Annie Ernaux) complémentaire en ce qu'il documente la lutte pour la légalisation de l'avortement. Ce corps médical qui ne donne les bonnes adresses qu'une fois l'avortement fait, qui met tout sur le dos d'une loi pratique pour ne pas se poser de questions, sa condescendance choquante, à l'image de celle de cet interne, honteux et en colère d'avoir découvert après les soins prodigués à Annie Ernaux que celle-ci était du même monde que lui, celui des hauts placés, qui apparemment ont plus de légitimité à se débarrasser d'un enfant que ceux de basse classe…

« L'évènement » a été, comme je le disais plus haut, une véritable expérience de lecture, de celles dont on ressort choquée quand on referme la couverture. Mais qui à ce titre, sont inoubliables.
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