Dans Passion simple, petit livre autobiographique, Annie Ernaux est passionnément amoureuse et elle attend. Elle attend, attend et attend encore.
Tout son être est mobilisé, des mois durant, pour un homme qui décide du quand. Tout son quotidien, toutes ses pensées tournent autour de lui et de ce qu'il représente : la passion. Le temps pour elle s'est arrêté, elle vit suspendue aux impératifs du désir et de l'emploi du temps de son amant : « Je n'avais pas d'autre avenir que le prochain coup de téléphone fixant un rendez-vous ». Tout ce qui n'était pas lui est farouchement mis entre parenthèses pour ne pas être distraite de lui. Et aussi pour ne pas rater l'imprévisible appel.
Lui a un agenda de ministre, des relations professionnelles nombreuses, une vie sociale épanouie. C'est aussi un homme marié, ce qui implique le secret.
Annie Ernaux évoque les joies et surtout les tourments d'une relation déséquilibrée à la base, une obsession à laquelle elle ne parvient pas à échapper – encore qu'elle ne souhaite pas vraiment s'y soustraire, juste moins souffrir. Bringuebalée entre des sentiments contradictoires, « le désir de rompre pour ne plus être à la merci d'un appel » et le désir de « continuer à n'importe quel prix », elle vit sa passion seule, sans en parler.
Car Annie Ernaux est une femme secrète. Une femme qui pense et qui ressent l'absolu. Et pendant des mois l'absolu est lié à lui. Elle vit tantôt dans le souvenir de leur dernier rendez-vous, tantôt, lorsque l'empreinte émotionnelle du souvenir, fatalement, s'estompe, dans l'anticipation et la préparation – à l'aveugle – de leurs prochaines retrouvailles. Tout devient une façon d'être avec lui, tout se transforme en lien, en symbole, en signe. Tout ce qui est extérieur devient menace : « je vivais dans la hantise croissante qu'il survienne n'importe quoi empêchant notre rendez-vous »
Malgré cela, et bien que totalement aspirée, elle ne sombre pas dans un harcèlement destructeur. Juste elle attend, se met en retrait de ce qui compte moins. Et si elle part à la chasse aux miettes d'informations, qui deviennent autant de précieux trésors, ce n'est que pour être avec lui, pour avoir l'illusion de prolonger extérieurement le lien intérieur.
Lorsqu'elle tente de se rebeller en s'éloignant quelques jours – absence qu'il ne remarquera pas, mais qui vaut plus par le geste symbolique d'une femme surprise par un éclair de lucidité, qui comprend qu'elle s'oublie et qui tente par réaction plus que par conviction d'inverser la tendance – elle bascule dans la pétrification d'une autre attente : le retour à Paris.
Cette obsession de l'âme pour un être aimé est à la fois triste et magnifique. Annie Ernaux ne semble pas d'un tempérament à se confier car le secret lui parle (une relation sentimentale – qui plus est intensément vécue – doit rester secrète sinon elle se délaye et ne nous appartient plus), alors elle s'enfonce dans la solitude de ce qui de toute façon ne serait pas compris. Dans l'huis-clos de son esprit fasciné, la boucle amplifie chaque détail, chaque sentiment, chaque doute. Le moindre brin d'herbe séchée devient un interminable feu de forêt.
Je vois un parallèle avec ce qu'a pu ressentir Idylle dans le silence des hommes, de Christine Orban : renvoyée à elle-même, noyée dans ses sentiments entrecoupés de questionnements tantôt superficiels tantôt existentiels, elle est fétu de paille.
Alors on pourrait imaginer qu'Annie Ernaux ne fait que subir, qu'elle ne fait que souffrir d'une situation et de sentiments inégaux en force et en valeur. Mais quelque chose en elle aime être emplie de cet homme même en son absence : « je ne voulais pas détourner mon esprit vers autre chose que l'attente de A. ». Encore que le choix d'un verbe indiquant la volonté soit à mon avis à côté de la réalité : l'existence même de l'obsession répond à un impératif intérieur, à son mode de fonctionnement amoureux. Pour elle, une passion ne serait pas passion sans obsession, sans dévotion dans l'attente, sans souffrance. Être à l'autre totalement, bien plus que physiquement.
Ce livre explore à merveille les montagnes russes d'une relation passionnée dans laquelle seulement l'un des deux a accès à l'absolu. Le déséquilibre des sentiments, l'exaltation, le désespoir, la colère, la peur, l'exagération certaine, les questionnements sans fin, les interprétations. Et même l'oubli de soi qui, après coup, enrichit celui qui aime car il peut se dire « j'ai aimé à la folie » et chérir ce qu'ainsi il a découvert de lui-même.
En fait, ce livre est une folle preuve d'amour et de richesse intérieure
Commenter  J’apprécie         10
Finalement, qu'y a-t-il à garder de ces aventures ? L'auteur a su en faire une oeuvre littéraire moi pas !
Commenter  J’apprécie         10 Une ode à l'amour.
J'ai vraiment apprécié ce livre qui m'a fais écho dans de nombreux passages.
C'est l'amour sous toutes ses facettes ou presque.
J'ai très envie de le relire pour l'annoter !
Se lit très vite…ou plutôt se dévore ;)
Commenter  J’apprécie         00