Les oreilles de Buster

la nature peut se montrer cruelle mais ses fourberies ne sont jamais conscientes

Je les ai contemplées mes vieilles amies de toujours, et j'ai ressenti une légère mélancolie à la pensée de ce que nous étions devenues. Nos rêves en trois dimensions ont été laminés par la vie, aplatis, désormais inodores, incolores et sans goût.

Les mots m'ont toujours narguée. Des pensées qui me paraissaient révélatrices, originales tant que je les gardais prisonnières, s'effritaient durant leur brève course dans l'atmosphère et mouraient dès qu'elles touchaient le papier. Comme si le simple passage de mon for intérieur au dehors suffisaient à les flétrir

Pour être tout à fait honnête, je lisais volontiers la Bible, dont je trouvais les histoires aussi captivantes que celles des frères Grimm et, surtout, aussi cruelles. (p. 70)

Page 301 : … Une longue vie de travail ne peut pas décemment se terminer par une vieillesse à l’étable, tout cela parce qu’il n’y a plus de place à l’auberge.

" Des jours se sont écoulés sans que j'écrive. Mais lorsque j'ai mis le point final, la dernière fois, j'ai eu l'impression que la boîte où étaient enfermés mes sentiments refoulés s'était ouverte. J'avais des visions, je reconnaissais des parfums de l'enfance, comme si j'errais dans un musée la nuit." p. 51

Immobile dans l'embrasure de la porte, je les regardais. Le dos de mon père et le visage barbouillé de ma mère. Je sentais une partie de moi s'éloigner, flotter, les observer d'en dessus, songeant que ce spectacle était inconcevable. J'avais raconté qu'un inconnu m'avait, comme disait ma mère, tripotée, et elle ne me croyait pas. Que serait-il advenu si j'avais dit que j'avais été réveillée par un baiser et qu'il m'avait dit vouloir "toucher une jeune fille"? A cet instant, je sus que je ne pourrais jamais plus poser sur elle le regard d'une fille sur sa mère. Elle ne pouvait pas être ma mère. C'était impossible. Cette femme, je devais à tout prix la tuer, je devais mettre à exécution la décision que j'avais jadis prise. Faute de quoi, je ne survivrais pas.

Il est doué pour la solitude, mais c'est aussi sa plus grande frayeur.Prends bien soin de lui, Eva. Il a besoin d'amour.

je passai mes vacances à serrer contre moi les oreilles de Buster et à réfléchir.
Ma mère nous avait encore fait du mal, mais je n'étais pas prête à la punir. Ma décision était certes prise. Néanmoins, il faudrait un entraînement de longue haleine et des préparatifs minutieux pour accomplir l'exploit.

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Ma mère m'avait fait du mal, et une autre créature payait
ses méfaits. Une injustice ? Lorsque ma face blanche murmurait le mot, la noire rétorquait que la créature en question avait provoqué bien des souffrances. Elle y avait
en outre pris plaisir. Elle avait donc été châtiée et, par la même occasion, le mal s'était métamorphosé en bien. Car
Buster m'apportait désormais quelque chose d'essentiel.
A partir de ce jour, ses oreilles demeureraient à mon écoute quoi qu'il arrive. J'avais trouvé une stratégie de survie. Je pouvais dès lors entamer un dialogue intérieur qui allait me rendre à la vie, même si la voie que j'empruntais traversait la mort. Buster, que j'avais tan hai, devint mon allié. Je pus aussitôt lui pardonner, et ses oreilles m'apprirent qu'à tout problème, il y a une solution.