Je suis une déracinée. Aujourd’hui, alors que tout le monde cherche ses racines, il m’est de plus en plus difficile de définir les miennes, de ressentir une appartenance quelconque. Je sais seulement que je ne suis véritablement chez moi nulle part ; je ne peux même pas prétendre représenter l’éternel Juif errant, parce que mon identité juive n’est pas si forte que cela. […] [N]ous (et ici l’emploi du "nous" signifie mon époux, mon alter ego) […] avions tous deux survécu, nous nous étions retrouvés, et c’était suffisant. Le simple fait d’être en vie nous transportait. Et ni Jéhovah le miséricordieux, ni Jéhovah le châtieur n’y étaient pour quoi que ce soit.
Les nazis, avec leur humour macabre, nous accordèrent pour ce mariage de circonstance, une salle spéciale dans la section psychiatrique. Le matin pluvieux du 22 novembre 1942, nous nous tînmes devant le rabbin qui nous maria en présence de nos amis, parmi lesquels se trouvait celle qui avait apporté à Eva trois chrysanthèmes blancs, et de la mère atterrée d’Eva, qui nous avait donné sa permission avec hésitation, car Eva n’était pas majeure. Ce fut une cérémonie simple mais émouvante, au cours de laquelle le rabbin proclama qu’étant habilité à nous marier, il le faisait en accord avec les lois de l’ancienne Tchécoslovaquie.